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Reichstag les doléances de l’Alsace-Lorraine. Le public européen a sans doute gardé souvenir de cette harangue, rendue si saisissante par le calme et par la concision de l’orateur. Pas un mot de colère ni de haine n’est sorti de sa bouche, car il savait d’avance que toute parole déplaisante serait étouffée sous les clameurs et les rappels à l’ordre. Très habilement il s’est borné à porter à la tribune un froid bilan dont chaque chiffre tombait comme un acte d’accusation à l’adresse du régime dont ceux qui l’écoutaient sont les représentans. Ce que M. Bezanson disait si bien alors, M. Grad s’est depuis chargé de le démontrer dans son livre, et la salle du Reichstag vient de retentir tout récemment encore des plaintes douloureuses des députés de l’Alsace-Lorraine. Avec une sagesse très méritoire, ces messieurs ont évité d’agiter aucune thèse irritante devant un auditoire qu’ils savaient mal disposé. Se rendant compte de l’état présent des esprits en Europe, ils se sont abstenus d’en appeler aux grandes puissances, volontairement indifférentes à ce qui se passe sous leurs yeux, à leur portée, entre les Vosges et le Rhin, mais dont les plénipotentiaires prochainement réunis en congrès sous la présidence de M. de Bismarck vont recevoir l’édifiante mission de prêter l’oreille la plus attentive aux moindres revendications nationales qui viendraient à surgir bien au loin, soit par delà les rives du Danube, soit sur le versant oriental des défilés du Caucase. Loin de rechercher l’effet des bruyantes généralités et de se livrer à de vaines récriminations, les députés d’Alsace-Lorraine se sont bornés dans leurs livres et dans leurs discours à traiter des questions pratiques et d’un intérêt immédiat pour les populations qui les ont envoyés à Berlin ; ils ont préféré citer des chiffres précis et accumuler des faits indiscutables, ce qui est, après tout, le moyen le plus sûr de produire l’évidence. Livres et discours arrivent à la même conclusion et peuvent se résumer en deux mots : l’Alsace-Lorraine se dépeuple ; l’Alsace-Lorraine se ruine.

À coup sûr, l’état des choses a été différemment représenté à l’empereur Guillaume au moment où, suivi de son fils le prince impérial, il est venu pour la première fois, en mai 1877, visiter une partie de sa nouvelle province. À en juger par le programme officiel publié à cette époque par les feuilles allemandes, ce voyage a moins eu le caractère d’une visite de souverain que d’une tournée de général d’armée. Sans doute, les réceptions, les fêtes et les manifestations d’enthousiasme public, qui forment l’accompagnement obligé d’un empereur en voyage, n’ont pas fait défaut ; les autorités ont pris soin que les édifices publics fussent décorés partout et que les citoyens, invités, comme il est d’usage, à orner les façades de leurs maisons, se conformassent à ce devoir. La nouvelle université de Strasbourg, qui célébrait à ce même moment le cinquième anniver-