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celles qui avaient été consenties pour les 600 premiers kilomètres.

D’autres considérations entraînèrent l’état à faire en 1872 une opération plus importante encore, — à racheter le réseau de la grande compagnie du Luxembourg. La société anglaise concessionnaire de ce chemin avait en 1869 signé avec la compagnie des chemins de fer de l’Est français un traité aux termes duquel elle abandonnait à celle-ci son exploitation moyennant un revenu de 12 francs 50 centimes par action. Nous ne retracerons pas ici l’historique de ce que l’on a appelé l’incident franco-belge ; le pays crut devoir voter une loi de salut public pour échapper à un danger bien chimérique. Les Anglais durent conserver leurs lignes, mais en 1872 ils entamèrent des négociations ayant pour objet la cession de leur réseau à une société dans laquelle apparaissait l’intérêt allemand ; le gouvernement, cette fois, n’hésita pas, et il racheta le réseau en donnant aux Anglais un revenu de 25 francs par action, juste le double du prix offert par la compagnie de l’Est en 1869.

Est-il possible de voir dans les faits que nous venons de raconter très sommairement l’application d’un principe économique ? Personne n’y a songé en Belgique. En 1834, on a constitué un réseau d’état parce que l’on a eu peur de voir des étrangers prendre part à une œuvre nationale. En 1869, on a pris à bail le réseau Philippart, parce qu’on s’est aperçu que ce réseau faisait une concurrence aux lignes de l’état. En 1872, on a racheté le réseau luxembourgeois, parce qu’en 1869 on a redouté de le voir exploité par une société française et qu’il allait, en 1871, être vendu à une société allemande. Voilà la vérité. Si on parcourt les volumineux registres qui contiennent les délibérations des chambres, on y trouve très fréquemment développés les motifs qui devraient s’opposer à la continuation de l’exploitation par l’état. Nous reviendrons sur ces motifs ; mais ils disparaissent tous, et nous le concevons parfaitement, devant cet argument décisif : repousser tout ce qui, à un titre quelconque, pourrait porter la plus légère atteinte à l’indépendance du pays.

Malgré les absorptions réalisées en 1869 et en 1872, le réseau de l’état ne comprend encore que les trois cinquièmes du réseau total : 2,100 kilomètres sur 3,600. Le complément a encore une existence indépendante, mais il y a de fréquens conflits entre l’état et la compagnie la plus importante, celle du Grand-Central Belge, qui se sont livré plusieurs combats de tarifs. En vue de mettre fin à la concurrence, l’état fera un pas de plus dans l’absorption des sociétés privées, et il rachètera probablement les lignes du Grand-Central ; mais, cette fois encore, au lieu de grands principes à appliquer, il s’agira prosaïquement de faire cesser une concurrence.