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du mal dont il mourut. Il se trouva inopinément en face de George Sand. — Frédéric ! — dit-elle d’une voix étouffée, que lui seul entendit. Une pâleur mortelle couvrit les traits délicats et amaigris de l’artiste, et il se retira sans répondre. » Quelques mois après, il expirait, et George Sand ne fut point admise au nombre des femmes qui assistèrent à ses derniers momens, et dont l’une (morte elle-même il y a peu de temps) berça son agonie douloureuse au son des mélodies qu’il aimait. Mais le goût et le sentiment musical ne s’éteignirent point chez George Sand avec le souvenir de l’artiste dont le génie l’avait captivée. L’amour intelligent de la musique, qui lui a dicté de si belles pages dans Consuelo, l’inspirait encore bien des années après dans les Maîtres sonneurs, un de ses derniers romans champêtres. Les impressions que la musique fait naître chez des natures incultes y sont rendues avec une fidélité poétique, et elle nous fait aussi bien entendre les sons de la cornemuse rustique retentissant dans les forêts du Bourbonnais que la voix des élèves de Porpora s’exerçant dans la Scuola dei mendicanti. Toutes les fois que George Sand a parlé de la musique, elle en a montré l’intelligence autant qu’aucun écrivain du siècle, et nulle oreille n’a été plus sensible aux accens de cette langue mystérieuse qui a été donnée à l’homme pour l’aider à rendre des sentimens que la parole humaine ne saurait traduire et à tromper des besoins que la vie ne saurait satisfaire.


IV.

Arrivé au terme de cette trop longue étude, je n’ai pas l’espérance d’avoir envisagé sous toutes ses faces le talent si varié de George Sand. Je devrais dire encore que, si elle a médiocrement réussi dans des essais d’histoire assez courts, elle n’en avait pas moins le don, essentiel pour l’historien, de se représenter vivement la vie des époques passées. Il y a au commencement du roman assez peu connu de Nanon cinquante pages où l’état d’esprit des habitans d’une petite commune rurale en 1789, leurs relations avec les moines d’un couvent voisin leurs seigneurs, leurs anxiétés et leurs espérances à l’annonce des premiers événemens de la révolution française, sont peints avec cette vérité de l’imagination qui vaut bien celle des faits. On croirait lire la mise en scène d’une page de Tocqueville. Je devrais, à l’opposé, signaler l’aisance avec laquelle elle créait et faisait mouvoir des personnages fantastiques, bien que dans ce genre, un peu nébuleux pour son talent limpide, elle n’ait pas égalé la mystérieuse poésie d’Hoffmann. L’histoire de l’esprit captif