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d’impression qui percent à chaque instant dans ses œuvres les plus morales. Il y a telle de ses œuvres dramatiques ou la sévérité d’une critique scrupuleuse ne relèverait pas une expression qui pût froisser l’oreille la plus susceptible. Je citerai comme son chef-d’œuvre dans ce genre d’exquise délicatesse le Mariage de Victorine, où elle a continué l’œuvre de Sedaine sans atteindre ni prétendre au même pathétique que dans le Philosophe sans le savoir, mais où elle a égalé son modèle par la grâce et l’émotion du dialogue. Le Mariage de Victorine mérite de vivre dans l’œuvre de George Sand comme un délicieux pastel qui, dans une galerie, reposerait les yeux de tableaux aux couleurs plus brillantes, et justice a été rendue à cette pièce trop oubliée le jour où, interprétée par des artistes éminens, elle est entrée au répertoire de la première scène de Paris et du monde : le Théâtre-Français.

George Sand n’a pas seulement beaucoup écrit pour le théâtre, elle a aussi beaucoup écrit à propos du théâtre. Son esprit était préoccupé des questions que soulève l’art dramatique et du rôle qui revient à cet art dans nos sociétés modernes. Elle en parle souvent dans ses œuvres d’imagination comme dans ses œuvres de critique, et je voudrais tenter de dégager de ces essais épars ce qu’on pourrait appeler sa théorie dramatique. Je laisserai de côté cette brillante fantaisie du Château des Désertes, où elle a voulu élever l’interprétation scénique à la hauteur d’une collaboration véritable en invitant les acteurs à se mouvoir librement dans le cadre de l’œuvre tracée par le maître, et à faire bon marché de la forme, que renouvellerait à chaque représentation la liberté de leur improvisation. Il ne faut voir dans ce conseil hardi que le caprice d’un esprit ingénieux, et ce serait dépasser sa pensée que de prendre le conseil au pied de la lettre. C’est dans les préfaces ajoutées après coup en tête de ses pièces qu’il faut chercher sa théorie véritable, et cette théorie peut se résumer ainsi : le théâtre doit servir à la peinture des caractères ; une pièce bien faite est une œuvre d’analyse psychologique, et les événemens qui font marcher la pièce ne sont que l’accessoire par rapport aux sentimens. A-t-elle composé ses pièces d’après sa théorie, ou n’a-t-elle pas plutôt construit sa théorie d’après ses pièces ? Il serait assez malaisé de le dire, mais il est certain que dans presque toutes ses œuvres dramatiques l’analyse des caractères est toujours fine et soignée, tandis que l’action est maladroite et faible. Or, là est, suivant moi, l’erreur. La psychologie n’a rien à faire au théâtre : c’est l’action qui en est la vie, l’action mise en mouvement dans la comédie par un ridicule, dans le drame par une passion ou un vice, mais toujours vivante et souveraine. Lorsqu’au lieu de mettre en relief dans un personnage le trait saillant qui fait marcher la pièce,