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Quelle ardeur, mais quelle pureté, et comme la gravité du sentiment religieux vient ici tempérer à propos les élans de passion ! Ai-je raison de trouver que cette fois encore l’art et la morale, ou, pour me servir d’un moins gros mot, la délicatesse, sont d’accord pour faire accorder la préférence à la réserve anglaise ?

Puisque j’en suis à marquer chez George Sand les faiblesses du talent, j’oserai, au risque de soulever certaines contradictions, mettre au rang de ses erreurs le don qu’elle s’est cru d’écrire pour le théâtre. Ce don, à mes yeux, elle ne le possédait pas. Son talent un peu prolixe et diffus se prêtait difficilement à la rapidité, à la concision nécessaires sur la scène, et, sans méconnaître le mérite de quelques-unes de ses œuvres dramatiques, je ne crois pas qu’elle ait été bien inspirée en cédant à cette tentation qui, de nos jours, pousse les romanciers et les poètes à écrire pour le théâtre. On comprend à vrai dire que cette tentation soit puissante, et qu’y résister soit difficile. Lorsqu’un auteur a conscience de sa popularité auprès de toute une génération, lorsqu’il a la divination des sympathies mystérieuses et muettes qui l’environnent, on comprend qu’il soit séduit par la pensée d’exercer cette influence directement et d’homme à homme, d’assigner à un jour donné un rendez-vous solennel à cette foule d’amis inconnus, pour se donner le spectacle de leur émotion, et cueillir en une soirée la fleur de sa gloire. Victor Hugo a peint cette ivresse en vers plus orgueilleux qu’agréables à l’oreille :

Quand le peuple au théâtre écoute ma pensée,
J’y cours ; et là, courbé sur la foule pressée,
L’étudiant de près,
Sur mon drame touffu dont le branchage plie,
J’entends tomber ses pleurs comme la large pluie
Aux feuilles des forêts.


Combien cette espérance d’entendre tomber les pleurs de la foule n’a-t-elle pas séduit d’auteurs, et combien en avons-nous vu grossir et condenser pour la scène des romans dont la finesse et le détail faisaient le plus grand charme ! Il n’y aurait eu, cependant que demi-mal si George Sand s’était bornée à emprunter à ses œuvres d’imagination le canevas de ses pièces. C’est en tirant de François le Champi un drame représenté en 1849 sur la scène de l’Odéon qu’elle a obtenu son premier succès au théâtre. Cette pièce agréable a mérité de demeurer au répertoire, bien que le parler paysan que George Sand a également employé dans Claudie et dans le Pressoir ne soit pas le langage qui convienne à la scène. Ce faux naturel n’ajoute rien à la réalité, et si par malheur la vérité ne se trouve pas dans les sentimens, toutes les locutions