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Une qualité essentielle lui a tout d’abord manqué, le don de la composition. Dès ses premières œuvres, elle eut beaucoup de peine à accepter la nécessité de concevoir le plan d’un roman avant de l’écrire, et à se demander, avant de mettre en chemin ses personnages, dans quelle voie elle entendait les engager. « L’absence de plan, a-t-elle écrit ingénument, fut de tout temps mon infirmité ordinaire. » Cette infirmité alla croissant avec l’âge comme toutes celles qui ne sont point vigoureusement traitées et combattues. Les besoins incessans avec lesquels elle fut aux prises toute sa vie l’entraînèrent souvent à contracter avec ses éditeurs des engagemens littéraires dans l’accomplissement desquels elle apportait, me disait l’un d’eux, « la régularité et la probité d’un notaire. » Pour faire honneur à ses engagemens, elle comptait sur l’incroyable facilité qui lui permettait d’écrire des manuscrits entiers presque sans ratures, et elle poussait ses personnages devant elle un peu au hasard jusqu’à ce qu’elle eût rempli le nombre de pages promises. Elle s’en débarrassait alors au moyen d’un dénoûment plaqué, et sous le premier prétexte venu, comme un maître de maison se débarrasserait d’une compagnie incommode. Le manuscrit était sur-le-champ expédié par la poste, et arrivait au jour dit avec la régularité d’un effet de commerce. Je crains que dans l’avenir cette absence de plan ne soit un des défauts qui nuiront le plus à la réputation de George Sand. Rien ne dure en effet que ce qui est bien composé. Si les formes vieillissent, si les idées changent, les lois de la composition sont éternelles ; l’esprit humain, mobile dans ses goûts, est toujours constant dans ses procédés. Les opérations de la logique sont les mêmes aujourd’hui qu’au temps d’Aristote, et les préceptes de rhétorique qui ont cours dans nos écoles modernes ne diffèrent pas de ceux que la jeunesse studieuse recueillait autrefois sous les portiques d’Athènes et de Rome. Celui qui se fait un jeu de ces préceptes et qui ne sait pas discerner l’éternelle vérité des lois cachées sous leurs formules arides pourra peut-être surprendre un succès d’un jour ; mais il s’exposera à voir crouler tôt ou tard sa réputation fragile, comme un édifice dont l’architecte aurait embelli la façade sans en asseoir la base d’après les lois de l’équilibre géométrique.

Un second défaut non moins grave chez George Sand, c’est ce que j’appellerai l’intempérance. La sobriété lui est inconnue ; elle ignore l’art exquis de beaucoup dire en peu de mots, d’éveiller l’imagination en laissant à la rêverie le soin de la satisfaire, et de traduire en termes contenus des sentimens passionnés. Les personnages de ses romans parlent toujours au ton le plus élevé du diapason. Il n’y a pas de mots assez forts, d’épithètes assez redondantes pour traduire les sentimens qui les animent. On croirait entendre un opéra où les acteurs chanteraient tout le temps à pleins