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parce qu’elle attise des haines et encourage des illusions. Au milieu de ces divagations, il est curieux de retrouver cependant l’instinct permanent de la race. L’arrière-petite-fille de Maurice de Saxe n’en veut point à la noblesse ; elle lui reconnaît volontiers certaines qualités et lui prête même assez gratuitement des tendances socialistes et humanitaires. Toute sa haine est contre le bourgeois, paysan ou industriel enrichi ; il n’est point de vices et de ridicules dont elle ne le charge. Quant au prolétaire, son enthousiasme pour lui ne connaît pas de bornes. « Ô peuple ! tu prophétises, s’écrie un de ses héros, en serrant un farinier contre son cœur. C’est pour toi en effet que Dieu fera des miracles, c’est sur toi que soufflera l’esprit saint ! Tu ne connais pas le découragement ; tu ne doutes de rien. Tu sens que le cœur est plus puissant que la science ; tu sens ta force, ton amour, et tu comptes sur l’inspiration ! Voilà pourquoi j’ai brûlé mes livres ! Voilà pourquoi je vais chercher parmi les pauvres et les simples de cœur la foi et le zèle que j’ai perdus en grandissant parmi les riches ! »

Quel sort George Sand réserve-t-elle dans ses plans de réorganisation sociale à ces malheureux riches ? Autant qu’on peut discerner une théorie précise au travers de beaucoup de déclamations confuses, George Sand ne paraît pas avoir cru à la possibilité d’un partage immédiat des biens. Elle se sentait froissée par ce qu’il y avait de brutal dans cette mesure, et les théories destructives de Michel de Bourges ne faisaient qu’exciter son indignation. Elle avait mis son espérance dans une sorte d’association volontaire des biens, des efforts, des instrumens de travail et des produits, qui abolirait la souffrance en assurant à chacun sa part de jouissance. Comment cette association parviendrait-elle à se constituer ? Serait-elle volontaire ou forcée ? Le législateur interviendrait-il pour y contraindre les citoyens ou se bornerait-il à faire appel à la générosité de chacun ? Il n’aurait pas fallu la serrer de trop près sur ce point, car elle n’en savait guère rien elle-même. Il est plus facile en effet de dénoncer les souffrances engendrées par l’inégalité des conditions que de trouver un remède à cette inégalité même ; mais cette ignorance des procédés n’est pas un obstacle quand il ne s’agit que d’écrire des romans. C’est à la pratique qu’on reconnaît la difficulté de transformer en projet de loi des utopies plus ou moins généreuses, et George Sand ne devait pas tarder à faire de cette difficulté une épreuve à laquelle ses illusions n’ont pas résisté.

Rien d’étonnant que, dans la disposition d’esprit où elle se trouvait depuis plusieurs années, elle ait salué avec enthousiasme la révolution de 1848 comme l’aurore de cette ère nouvelle qu’elle avait rêvée. L’établissement du suffrage universel était