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nombre de quatre ou six, se sont toujours précipitées en ligne serrée, sans prendre garde aux feux qui les accueillaient, et elles se sont efforcées d’arriver presque sous les murailles des bâtimens pour les frapper avec l’espar où se trouve fixée la torpille. Le coup porté, elles se sont retirées le plus promptement possible après s’être débarrassées de l’eau que l’explosion avait soulevée en colonne et des débris de toute sorte, tels que fils électriques, épaves du bâtiment et autres. Chose singulière ! dans ces rencontres, si souvent mortelles pour les marins-torpilleurs lors de la guerre de la sécession, les équipages des bateaux russes ont échappé le plus souvent aux conséquences de leur aventureuse audace. Malgré la grêle des projectiles et l’obligation de se découvrir, ils sont presque toujours revenus sains et saufs. Il ne paraît pas que la marine russe se soit servie des torpilles Whitehead commandées en Angleterre. Le seul engin dont elle aura sans doute fait usage est la torpille fixée à bout d’espar. La torpille Harvey, dont nous avons parlé, n’a pas non plus été essayée, le gouvernement russe ne partageant pas la prédilection que l’Autriche avait montrée pour cet appareil.

Nous avons à compléter nos renseignemens sur les opérations de la marine russe, en racontant la lutte d’un simple navire de commerce, armé en guerre, contre un cuirassé de la flotte ottomane, lutte qui s’est terminée par’ la retraite de ce dernier navire. En effet, le gouvernement ne s’était pas borné exclusivement à l’emploi de la torpille. Il a requis les paquebots de la compagnie russe de navigation ; il les a armés, pourvus d’équipages vaillans et commandés par un excellent choix d’officiers de la flotte militaire. L’administration de la marine en Turquie n’a pas publié le récit des événemens qui lui ont été favorables. A part les bombardemens de quelques petits ports sur la côte d’Asie et la destruction à coups de canon dans le Danube d’un steamer acheté par la Russie, destiné à la flotte militaire, mais encore dépourvu de tout armement, nous n’avons entre les mains aucun rapport officiel et circonstancié sur les opérations de la flotte ottomane ; est-ce parti-pris, dédain des avantages de la publicité ou disette de sujets ? Il en existe peut-être ; mais dans tous les cas ce silence laisse subsister certains étonnemens qui ont trouvé de l’écho dans la presse anglaise. Pou quoi les cuirassés turcs n’ont-ils pas bloqué dans les ports russes les bâtimens de flottille ? pourquoi ceux-ci ont-ils gardé la liberté de leurs mouvemens ? pourquoi les a-t-on vus jusque sur les côtes d’Anatolie et de Roumélie circuler de toutes parts, capturant des navires de commerce jusqu’en vue des rivages gardés par les bâtimens d’Hobbart-Pacha ? Ce marin anglais a-t-il justifié par une tactique supérieure la confiance que le gouvernement de Constantinople avait placée dans son expérience et ses talens militaires ? Les marins de