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projetés à une si grande hauteur. Ce n’est pas tout : l’équipage turc, obligé d’abandonner son artillerie, en partie submergée, s’était réfugié à l’avant du navire, avait saisi les fusils et envoyait aux assaillans décharges sur décharges. Dans toutes les occasions, les disciples de Mahomet, pendant cette guerre, ont montré la plus remarquable bravoure ; si les embarcations à torpilles ont pu se tirer saines et sauves de cette bagarre, où les Turcs ont combattu jusqu’au dernier moment, il faut l’attribuer à l’incertitude de la nuit, au désordre d’un naufrage. Quant aux Russes, ils eurent autant de bonheur que d’intrépidité. Le Xenia ne parvenait que lentement à dégager son hélice des débris qui l’embarrassaient. Le Cesarevitch se relevait péniblement sous l’eau et employait ses forces à vider avec des seaux l’eau qui le remplissait, car la pompe ne fonctionnait pas. Ils restèrent longtemps sous le feu dirigé sur eux par trois gros bâtimens et n’échappèrent que par un hasard extraordinaire.

Tel fut le début des torpilles dans cette campagne. Les Russes avaient procédé par un groupe de quatre canots : deux pour l’attaque, un troisième en réserve, le dernier comme secours. Leur moyen d’agression était une caisse explosive fixée au bout d’un espar qu’il fallait porter jusque sous le bâtiment attaqué en se plaçant bord à bord pour le frapper plus sûrement. Cette opération devait être praticable dans un fleuve. Elle a réussi en effet. La marine russe, encouragée par ce succès, allait bientôt tenter en mer une autre expédition du même genre.

Le 9 juin, six bateaux-torpilles partirent d’Odessa à la recherche de bâtimens turcs qui croisaient, disait-on, au large de Caffa, près du détroit qui joint la Mer-Noire à la Mer-d’Azof. Ils étaient remorqués par l’aviso Grand-duc-Constantin. La flottille ne rencontra pas à Caffa les bâtimens de la marine ottomane ; mais on apprit qu’ils étaient mouillés en rade de Soulina. On y reconnut en effet la présence de quatre cuirassés turcs, l’un en croisière et trois au mouillage. A 6 milles de distance, l’aviso s’arrêta, les remorques furent larguées, et les six bateaux, abandonnés à eux-mêmes, s’avancèrent sur deux lignes. Une heure et demie de marche les mit à portée des bâtimens ennemis. Ils se préparèrent à l’attaque, formés sur une seule ligne, et profitant d’une nuit fort obscure. Chaque bateau était couvert d’un prélart disposé pour intercepter la lumière, et les machines étaient conduites de manière à ne faire aucun bruit. Le commandant Puschtschine dirigea son bateau au centre de la rade ; le lieutenant Rodjestvenski assaillit le bâtiment le plus proche. A la distance de 60 mètres, ils furent hélés par les factionnaires de ce dernier navire. En même temps, l’équipage ouvrit un feu de mousqueterie des plus violons. Le bateau prit son élan et s’approcha le plus près possible du bâtiment sans arriver à le toucher, de