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modèles seront plus grands. Avec toutes ces conceptions qui jusqu’à présent n’ont rien produit, la Russie s’est trouvée désarmée devant un ennemi qu’elle avait l’habitude de vaincre et qui vient de la braver presque impunément sur mer. Quelques services que les popofkas puissent lui rendre un jour contre des marines de premier ordre, elles ont laissé pendant la guerre le pays à peu près sans défense contre une marine secondaire.

Mais on dit encore : La Russie, se voyant hors d’état de soutenir son rang dans la Mer-Noire, ne pouvait-elle pas y envoyer tout ou partie de sa flotte de combat remisée dans la Baltique ? Cette question, chacun l’a faite, et comment y répondre avec quelque certitude ? La politique russe n’a pas l’habitude de confier au public les motifs de ses décisions, et, comme le gouvernement n’y est pas exposé à des interpellations plus ou moins indiscrètes, il est assez difficile de pénétrer le secret de ses résolutions quand il ne lui convient pas de les dévoiler. Certes ce gouvernement a montré qu’il s’inquiétait peu des conseils donnés en congrès, et, s’il n’avait pas eu pour but de ménager l’Europe pour ne pas être entravé dans la guerre qu’il décidait, il aurait peut-être fait peu de cas de la disposition suivante annexée au traité de 1871, et ainsi conçue : « Le principe de la clôture du détroit des Dardanelles et du Bosphore, tel qu’il a été établi par la convention séparée du 30 mars 1856, est maintenu, avec la faculté pour sa majesté impériale le sultan d’ouvrir lesdits détroits en temps de paix aux bâtimens de guerre des puissances amies et alliées, dans le cas où la Sublime-Porte le jugerait nécessaire pour sauvegarder l’exécution du traité de Paris dû 30 mars 1856. »

Essayer de franchir de vive force les Dardanelles pour faire la guerre au sultan, c’eût été s’exposer à rencontrer les vaisseaux anglais au passage et donner une cause légitime à leur intervention. Il est donc possible que le gouvernement russe ait jugé impolitique de fournir ce prétexte à l’alliée du sultan. La crainte d’un conflit avec l’Angleterre a dominé en Russie au début de la guerre, et il a fallu que les Anglais eux-mêmes, par l’organe de leurs journaux les plus répandus, prissent la précaution de calmer la panique causée à Saint-Pétersbourg par le bruit de leur entrée probable dans la Baltique. Ils ont cru devoir rassurer les esprits. L’Angleterre, ont-ils dit, a tout à perdre à une lutte même victorieuse dans les eaux de la Baltique. Elle infligerait à peine à son adversaire la perte de quelques navires marchands et d’un littoral occupé seulement par des populations rares et indigentes, tandis qu’en revanche son adversaire menacerait ses côtes riches et populeuses, ses colonies si nombreuses et si florissantes. À ces considérations, un journal russe, Yachta, ajoutait les suivantes : Une flotte anglaise dans la