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gauche par la brigade La Mariouse, abritée dans le magasin central de la ville, sur le quai Morland, arrêtée devant le canal par les insurgés qu’elle ne pouvait tourner en s’engageant sur le quai Bourdon où les greniers d’abondance incendiés interdisaient toute tentative de passage. Le feu de la barricade était tel qu’une batterie de six pièces établie sur le quai Saint-Bernard, devant la grille du Jardin des Plantes, fut abandonnée ; elle fut du reste immédiatement remplacée par une demi-batterie de trois pièces de 12 qui, installée devant la rue Cuvier, ne broncha pas et tint vertement tête aux canons de l’insurrection. Nos troupes ne pouvaient arriver jusqu’à la terrible redoute du pont d’Austerlitz qu’en se glissant sur le bord de l’eau, par la berge même, et en jetant des planches sur l’embouchure du canal, dans la Seine. C’était fort difficile, mais non pas impossible ; elles l’ont prouvé.

La division Bruat, la brigade Derroja, la brigade La Mariouse, tiraient sur la barricade, qui ripostait avec violence. Les canonnières lançaient d’énormes obus malgré le feu plongeant des insurgés, qui était des plus meurtriers pour elles. Le commandant Rieunier était blessé, l’enseigne Huon de Kermadec venait d’être tué. C’était une rumeur épouvantable, l’eau jaillissait sous les projectiles qui la fouettaient, les vitres éclataient dans les maisons, les détonations, répercutées sous les arches des ponts, roulaient comme un ouragan furieux, un coup n’attendait pas l’autre. Comme le comte d’Estaing au combat de Bender-Abassi, le commandant Ribourt aurait pu lancer son chapeau en l’air et s’écrier : « Feu bâbord, feu tribord, feu partout, feu dans ma perruque ! » Au Sabre et à la Claymore était venue se joindre la Mitrailleuse, sous le commandement du lieutenant de vaisseau Dupuis. C’était un bon renfort, et la canonnade n’en fut que plus vigoureuse. N’était-ce pas assez du feu des insurgés pour la pauvre petite flottille ? Une pièce de la demi-batterie de la brigade Derroja, mal dirigée par négligence, envoya un paquet de mitraille à bord du Sabre et blessa un homme grièvement. Un enseigne de vaisseau, M. Germinat, monta en youyou et, traversant la Seine sous une tempête de mort, alla poliment prier l’officier d’artillerie de vouloir bien rectifier son tir.

Le seul moyen de permettre aux soldats de la brigade La Mariouse de sortir de l’Ile Louviers et d’assaillir la barricade était de chasser les insurgés qui occupaient le petit pont très solide qui franchit le canal, au-dessous de la gare de l’Arsenal. Le commandant Ribourt le comprit et donna des ordres en conséquence. Les canonnières firent un mouvement en avant, s’embossèrent juste en face du musoir, par le travers du courant de la Seine, et, ne répondant plus au feu de la barricade Austerlitz, lancèrent des tas de mitraille sur ce pont, qui fut promptement dégagé. Des