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généraux de brigade, de généraux de brigade en généraux de division, il finit par être mis en présence du général Douai, qui commandait en chef et qui avait son quartier dans une maison située à l’extrémité du boulevard Malesherhes, au-delà de l’église Saint-Augustin. M. Le Sage se désespérait. Que de temps perdu ! Il était plus de cinq heures ; qu’était-il advenu du ministère ? Le général Douai l’écouta attentivement et commençait à dicter des ordres lorsqu’on lui remit une dépêche. Il la lut et, se tournant vers M. Le Sage, il lui dit : « Vous pouvez retourner au ministère de la marine, nous y sommes. »


X. — NOS CANNONIERES.

Le général Douai ne se trompait pas : « nous y étions. » Vers trois heures et demie du matin, M. Gablin entendit un cri perçant, un cri de femme : « Voici l’amiral ! » Il accourut et se trouva face à face avec l’amiral Pothuau, qui, accompagné d’un officier de marine et d’un officier de la gendarmerie coloniale, venait, lui troisième, reprendre possession de son ministère, et ajoutait ainsi un trait héroïque à une existence où l’héroïsme n’a jamais fait défaut. « Bonjour, Gablin ; je suis content de vous revoir ! » Il y eut une minute d’expansion ; Mme Le Sage, qui avait reçu l’amiral, ne pouvait, malgré son énergie toute virile, retenir ses larmes. « Où est Le Sage ? demanda le ministre. — Il vous cherche, répondit sa femme. — Comment, vous êtes seul ? dit M. Gablin. — Non pas, répliqua l’amiral, mon. corps d’armée est derrière moi. » Et en souriant il montrait trois gendarmes qui, l’arme au bras, marchaient posément de front dans la rue Royale et se dirigeaient vers le ministère.

Voici ce qui s’était passé. L’amiral Pothuau avait établi son quartier-général au Palais de l’Industrie, ne se doutant guère qu’il n’était séparé que par une cloison de l’ancien commandant en chef de la flottille insurrectionnelle Durassier, qui mourait des suites de sa blessure. L’amiral n’avait point dormi ; involontairement, il regardait vers le ministère de la marine, qui se détachait en noir sur les flammes ; il écoutait et de ce côté n’entendait plus que de rares coups de fusil. Il eut une inspiration, comme les grands cœurs en ont souvent ; il fit appeler son aide-de-camp, M. Humann, un sous-lieutenant de gendarmerie coloniale, M. Jacquemot, et leur dit : « Allons voir un peu ce qui se passe chez nous ! » Sur l’ordre de M. Jacquemot, trois gendarmes suivirent et, à distance respectueuse, « emboîtèrent le pas. » L’amiral mit le sabre en main et partit. Il traversa le faubourg Saint-Honoré, échappa à une fusillade qui lui vint on ne sait d’où et arriva paisiblement au ministère, où Mme Levage faillit s’évanouir de joie en le voyant. L’amiral n’était