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troupes qui pourraient débucher par le boulevard Malesherbes ou par le boulevard de la Madeleine. C’était là un inconvénient majeur auquel il fallait remédier sans délai, afin d’empêcher la position d’être prise à revers. Dans la cour de la maison portant le n° 14 de la rue Royale, on trouva dix-sept tonneaux vides appartenant à un restaurateur voisin. On s’en empara, et ce fut le premier élément de la très forte barricade qui fut construite en demi-cercle rue Royale, en avant de la rue et du faubourg Saint-Honoré qui lui servaient de chemins abrités et dont la face était tournée vers l’église de la Madeleine. Tout ce quartier qui, le matin même, pendant quatre heures, avait cru à sa délivrance prochaine que les circonstances avaient rendue si facile, se voyait maintenant occupé, bloqué par l’insurrection arrivée en force et prête à tout pour défendre sa bauge. Prise entre la barricade de la place de la Concorde et la barricade rapidement élevée sur l’emplacement où se dressait jadis la porte Saint-Honoré, toute la partie sud de la rue Royale devenait une place d’armes formidable qui, pendant deux jours, allait arrêter le progrès des troupes françaises.


IX. — LA RUE ROYALE.

Brunel donna ses ordres ; la redoute de la rue de Rivoli riposta à nos batteries du Trocadéro ; la barricade protégeant la rue Royale contre la place de la Concorde canonna le Corps législatif et le ministère des affaires étrangères ; en haut de l’hôtel de la marine, le drapeau rouge flottait au vent. Brunel, une simple badine à la main, allait de groupe en groupe, offrant l’exemple de l’intrépidité et même de l’imprudence, car deux ou trois fois il passa de la barricade de la rue Royale à la barricade de la rue de Rivoli en traversant lentement la place de la Concorde, malgré les projectiles dont elle était battue. Les fédérés qui n’étaient point employés au service de l’artillerie étaient placés, en réserve, dans le ministère même, dans la cour des maisons voisines, dans la rue et dans le faubourg Saint-Honoré. La marine de la commune était représentée là par ses prétendus canonniers, par ses fusiliers et par quelques hommes sortis des équipages de la flottille. Ils étaient dans le ministère comme de vieilles connaissances, en faisaient les honneurs à leurs camarades et ne se gênaient guère pour aller réquisitionner du vin dans les restaurans d’alentour. Plus d’un fédéré était ivre et dormait sur le trottoir, insensible au bruit du canon qui ébranlait les bâtimens du ministère ; tous les carreaux y furent brisés ; après la bataille, la note du vitrier s’éleva à plus de 5,000 francs.

Il n’y avait pas là seulement des héros, il y avait aussi des