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la Muette jusqu’à Vaugirard, un officier d’ordonnance du général Douai, arrivant à bride abattue, venait prévenir le commandant Ribourt que l’armée se disposait à entrer par la porte de Saint-Cloud trouvée abandonnée, et qu’il eût à cesser de diriger son feu sur cette porte et sur les bastions voisins. Une heure après, un officier d’état-major apportait l’ordre de ne plus tirer sur la porte d’Auteuil parce que nos troupes cheminaient derrière les fortifications. Le bruit lointain de la fusillade vint apprendre que notre avant-garde était engagée contre les postes fédérés. Tout à coup on aperçut dans l’avenue d’Auteuil deux bataillons de gardes nationaux qui s’avançaient pour essayer de repousser nos troupes ; les fédérés étaient à découvert et encore loin des nôtres ; cinq obus envoyés simultanément par Montretout, éclatant parmi eux, les mirent en déroute et permirent à nos soldats de continuer leur mouvement. Ce fut là le dernier effort des batteries de la marine à Montretout. Elles avaient déblayé le chemin au drapeau de la France ; du 8 au 21 mai, elles avaient lancé 14,897 projectiles sur les remparts de la ville insurgée. Elles avaient battu la porte de Saint-Cloud, l’avaient égrenée et rendue semblable à un tas de moellons éboulés ; lorsque l’on y pénétra sur l’invitation de M. Ducatel, il y avait quatre jours qu’elle était abandonnée. Dans le poste du bastion n° 66, on trouva, placé en évidence sur le registre de l’octroi, un écrit ainsi conçu : « Porte de Saint-Cloud : 17 mai, quatre heures du soir. — Ne recevant de secours de personne, malgré toutes les promesses qui m’ont été faites, la position n’étant plus tenable, je pars. Les quelques hommes qui me restent, après en avoir délibéré en commun, m’en ont donné le conseil et me suivent. Timbre bleu : artillerie fédérée ; 1re compagnie ; capitaine commandant. » Cinq signatures sont apposées au-dessous de celle du capitaine. Ces noms, je ne puis les reproduire, car j’ignore ce que sont devenus ceux qui les portent ou qui les ont portés.


VIII. — LE 21 MAI.

Pendant que les batteries de la marine accéléraient ainsi la libération de Paris que nous attendions tous avec une si poignante impatience, Napoléon Gaillard avait terminé ses barricades. La place de la Concorde était devenue inabordable ; une barricade coupant le quai de la Conférence en amont du pont se reliait aux deux grandes terrasses des Tuileries munies d’épaulemens, qu’armaient des canons ; une vaste redoute placée à l’entrée de la rue de Rivoli, engorgeant la rue Saint-Florentin, affleurant le ministère de la marine, rejoignait une barricade très forte élevée un peu en avant