Page:Revue des Deux Mondes - 1878 - tome 26.djvu/252

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

on escalada deux étages dans un bâtiment neuf ; on s’arrêta dans une antichambre, et M. Gablin fut reçu par un homme d’une trentaine d’années, vêtu d’une robe de magistrat et coiffé d’une toque : la fo-orme, dit Brid’oison, — les gens de la commune en raffolaient et ne savaient qu’inventer pour se distinguer les uns des autres. Quel était ce juge d’instruction ? Il est difficile de le dire précisément, car M. Gablin a oublié son nom. D’après le résultat de l’interrogatoire et la façon bienveillante dont celui-ci fut mené, il est probable que M. Gablin eut la bonne chance d’être conduit devant Joseph-Frédéric Moiré, qui fit fonction de juge interrogateur dès l’établissement de la commune, mais qui ne fut officiellement nommé que le 8 mai. C’était un simple sceptique, sans fiel, sans conviction, sans principe, qui traversait le Palais de Justice, comme il avait traversé la caisse des dépôts et consignations : parce qu’on le payait. Il a signé plus d’un mandat de libération au temps de la commune, et si cela lui a valu quelques aubaines, je n’ai pas le courage de les lui reprocher.

Il examina rapidement les paperasses qu’un homme de l’escorte lui remit. Resté seul avec M. Gablin, il ne put réprimer un sourire et dit : — Vous avez donc fait murer l’entrée du souterrain de la marine ? — M. Gablin eut un soupir de soulagement : on ne savait rien ni de l’argenterie, ni des armes cachées. — Mais il n’y a jamais eu de souterrain ! — J’en suis parfaitement convaincu, répondit le juge. — L’interrogatoire commencé de la sorte dégénéra promptement en conversation. M. Gablin vit sans peine qu’il était en présence « d’un bon garçon, » il en profita habilement ; il mit beaucoup de rondeur, quelque gaîté dans ses réponses, et au bout d’un quart d’heure le magistrat et l’accusé étaient les meilleurs amis du monde. — Surtout, disait le juge, n’ayez aucune correspondance avec Versailles, parce qu’alors le procureur-général (Raoul Rigault) évoquerait l’affaire, et je n’aurais plus à m’en mêler. — Tout en causant, il avoua qu’on allait « trop loin, » et que l’éducation du peuple n’était pas encore complètement faite. — Allons, retournez chez vous, dit-il en terminant à M. Gablin, je regrette que l’on vous ait dérangé. — On se quitta sans se dire au revoir, mais en se donnant une poignée de main. M. Gablin était en liberté, il le croyait du moins, mais il avait compté sans le zèle des fédérés. La nuit venait ; il errait dans les couloirs, cherchant sa route et ne la trouvant guère, car il avait été amené au Palais par les dégagemens intérieurs de la préfecture de police, c’est-à-dire par un labyrinthe où il était facile de s’égarer, lorsque l’on n’en connaissait pas les détours. Au coin d’un corridor, il aperçut un garde national en faction et lui demanda naturellement son chemin. Le fédéré lui