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compte 5 ; Schwarzbourg-Rudolstadt a 80,000 habitans, Schaumbourg-Lippe 33,000. Le moyen de mettre sur un pied d’égalité Schaumbourg-Lippe et la Prusse ? Convenons qu’au début le lion s’est montré généreux. La Prusse possède dans le parlement un nombre de députés proportionnel à sa population ; dans le conseil fédéral, formé des délégués des gouvernemens, elle n’a que 17 voix sur 58. On peut croire que, si les petits états confédérés avaient eu des institutions républicaines, elle les aurait traités avec moins de ménagemens ; le lion eût bientôt fait d’absorber ou d’étrangler ces républiques ; mais ces petits états sont des royaumes, des principautés, des duchés, et le lion a ménagé les rois, les princes et les grands-ducs. Les petites couronnes ont leur utilité ; si légères qu’on puisse les croire, elles sont un contrepoids à la démocratie. En les supprimant, on aurait fait les affaires de la révolution, et les césars allemands veulent bien se servir de la révolution, ils n’ont garde de se mettre à son service.

A la vérité, la Prusse se dédommageait amplement des concessions généreuses qu’elle faisait à ses confédérés ; elle consacrait son hégémonie en réunissant dans la personne de M. de Bismarck les fonctions de président du ministère prussien et celles de chancelier de l’empire. Le chancelier est dans l’empire germanique l’homme qui fait tout, qui dirige tout, qui surveille tout, l’homme qui propose et qui dispose. Il a la haute main sur les affaires étrangères, sur la marine, sur la justice, sur l’administration des chemins de fer, sur l’Alsace-Lorraine, sur les finances. Il a seul le contre-seing et la responsabilité, et qui répond de tout ne répond de rien. Un professeur à l’université de Rostock, M. Roesler, écrivait récemment que « l’institution de la chancellerie impériale est une accumulation monstrueuse, monströse Anhaüfung, de pouvoirs incontrôlables et irresponsables, laquelle défie toute analogie et toute règle. » M. Roesler a raison, on aurait beau feuilleter les siècles et toute l’histoire des pays constitutionnels pour y trouver une institution pareille ou analogue, tout au plus pourrait-on découvrir dans le passé de la Hollande quelque chose d’équivalent et comparer l’empereur Guillaume, chef militaire de l’empire, à un stathouder chargé de tenir l’épée, et le chancelier de l’empire à un grand pensionnaire chargé de tout le reste. C’est une comparaison que M. de Bismarck, si nous ne nous trompons, a faite jadis lui-même, mais sans oser l’approfondir ; il a vu l’abîme et s’est dérobé, car les grands pensionnaires sont tenus de ménager beaucoup l’amour-propre des stathouders. Et au surplus qu’est-ce qu’un Heinsius, si grand qu’il fût, auprès de l’homme qui préside aux destinées de plus de 40 millions d’Allemands ?

La charge de chancelier a été créée par M. de Bismarck et pour M » de Bismarck. L’Allemagne ne se serait pas résignée à cette concentration de tous les pouvoirs dans une seule main, elle n’aurait pas consenti à subir l’omnipotence d’un homme, si cet homme n’avait pu se prévaloir