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n’a cure et souci que des intérêts allemands. Or il n’en aperçoit aucun engagé dans la question d’Orient : toute solution que peut recevoir cette question est indifférente à l’Allemagne. En revanche il aperçoit en Europe un intérêt de premier ordre, un intérêt vital, un intérêt permanent pour l’Allemagne, c’est de maintenir l’alliance séculaire qui l’unit à la Russie. L’amitié de l’Autriche est précieuse à l’Allemagne, mais à un moindre degré. Quelle est la conclusion à tirer de ce discours, sinon que M. de Bismarck se flatte d’obtenir, et a sans doute déjà obtenu, des concessions qu’il juge suffisantes pour apaiser le mécontentement de l’Autriche ? Mais, si un désaccord éclate au sein de la conférence, si une rupture devient imminente, la Prusse ne se séparera en aucun cas de la Russie, n’essaiera point de peser sur elle, et, en paix comme en guerre, fera cause commune avec « son alliée séculaire. »

il est probable que le cabinet de Londres tiendra compte de cet avertissement, qui pèsera d’un plus grand poids sur les délibérations de la conférence que les six millions sterling si péniblement votés par le parlement. Si ce cabinet peut obtenir, et M. de Bismarck les lui ménagera sans doute, quelques concessions de pure forme, destinées à sauver l’amour-propre britannique, il s’inclinera devant la loi du plus fort et subira ce qu’il ne peut empêcher. Que gagnerait-il en effet à prolonger l’état d’inquiétude de l’Europe ? S’il entrait dans les vues de la Russie d’éterniser la question d’Orient, de soulever des difficultés pour maintenir ses troupes aux portes de / Constantinople jusqu’au jour où il lui conviendrait d’y entrer et de refouler les Turcs en Asie, quel moyen l’Angleterre aurait-elle de s’y opposer, et de défendre ou de reconquérir Constantinople ?

La constatation publique, éclatante, de l’impuissance de l’Angleterre, voilà le résultat le plus considérable de la guerre, résultat que le gouvernement anglais n’avait assurément pas, prévu lorsqu’il se désintéressait si aisément et si complètement des embarras et des infortunes des autres peuples. Il n’a engagé dans le conflit actuel qu’un enjeu moral : une expérience peut-être prochaine lui apprendra toute l’importance de cet enjeu. Le roi Henri VIII, en prenant pour devise : « Qui je défends est maître, » montrait une exacte connaissance du cœur humain, car les particuliers et les peuples inclinent toujours à se ranger du côté du plus fort, et il tournait à son profit une des maximes des Orientaux : « Aie soin de défendre qui est maître ; » Le prestige de l’Angleterre est désormais détruit dans toutes les régions orientales ; fortifié par la protection efficace dont l’Angleterre avait couvert l’islam en 1855, il est ruiné par les malheurs qui accablent la Turquie. Il est avéré que les protégés de l’Angleterre sont écrasés sans merci, que le succès est assuré aux protégés de la Russie ; le fatalisme oriental verra dans ce