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forma la province actuelle. Les Chung-chia sont les descendans des premiers colons. Les deux « nations » se distinguent entre elles par une certaine différence dans le costume. J’ai vu des individus appartenant à trois ou quatre tribus des Miao et des Chung-chia, et il m’a été très aisé de reconnaître leurs différentes origines. C’est ainsi qu’il y a le blanc, le rouge et le noir Miao : ce dernier porte des boucles d’oreilles et des vêtemens noirs ; les hommes ne portent qu’une boucle, les femmes deux ; il y a encore les Miao bleus, les Miao fleuris, puis enfin, et ce sont les plus anciens, les Miao à bec de canard, ainsi désignés parce que ces montagnards ont dans leur dos, en guise d’ornement, une sorte de bec d’oiseau. Il y a trois classes de Chung-chia : la première s’appelle Pu-Ia-tzu ; les femmes font de leurs cheveux une queue à la chinoise comme les hommes ; la seconde est connue sous le nom Pu-i-tzu ; les femmes riches de cette tribu portent sur la tête en guise de chapeau une assiette d’argent ; enfin la troisième, celle des Pu-lung-tzu, se reconnaît à sa coiffure en forme de corbeau. Ces peuplades existent en grand nombre entre An-hsu-fu et Me-k’ou, et sur la route que j’ai suivie. Les Miao-tzu habitent plus généralement la région située entre Ch’ên-yuan-fou et la capitale. Par les nombreuses ruines que j’ai pu constater, qu’elles soient l’œuvre des impérialistes, ou qu’elles soient l’œuvre des rebelles, la férocité a dû être égale des deux côtés. Le mouvement insurrectionnel se produisit à l’époque où les mahométans occupaient le Yunnan et au moment où les Taïpings rebelles dominaient encore dans le Kiang-si et le Hu-nan. Le motif du soulèvement des tribus était juste. Les vainqueurs avaient oppressé de toutes façons les vaincus. Ceux-ci disaient avec amertume : « Nous sommes Chinois aussi bien que vous l’êtes, et cependant vous nous enlevez nos honneurs et nos richesses… » Les pauvres montagnards avaient donc des motifs sérieux de rébellion : les vainqueurs les bafouèrent cruellement, puis leur enlevèrent d’une manière légale leurs richesses au moyen d’impôts exorbitans.


II

Trois mois déjà s’étaient écoulés depuis le départ de M. Margary de Shanghaï. Il lui fallait encore quarante-neuf jours avant d’atteindre Bhamô, sur les bords de l’Irawady, en pays birman. C’était là qu’il espérait rencontrer le colonel Browne, en compagnie duquel devait s’effectuer le voyage de retour, si, comme tout le faisait supposer, l’accueil des autorités chinoises le permettait. La réception qui lui fut faite dans la grande capitale du Yunnan ne pouvait être plus cordiale. Il en profita pour prendre trois jours de repos assurément bien acquis ; notre aventureux Anglais ne cache pas dans