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fait grâce, quoiqu’il ne fût qu’un vaniteux attiré dans la révolte par l’amour du galon et le besoin de commander à ses égaux, qu’il considérait comme des inférieurs.

Il n’avait point été suivi dans sa nouvelle évolution par Cognet, son ancien chef d’état-major. Celui-ci, chassé du ministère de la marine par Peyrusset, comme nous l’avons vu, avait trouvé moyen d’y rentrer, d’y reprendre sa place et d’y faire bonne figure. C’était, il faut le croire, un homme d’entregent, car il était appuyé par le comité de salut public, fort apprécié à la délégation de la guerre et avait fini par s’imposer à Latappy, qui le subissait. On le voit, il était bien en cour. Il ne manquait pas d’imagination et avait un aplomb que rien ne déroutait. Il se donnait pour un organisateur habile, et à force de proposer à tous les comités inventés par la commune de former un corps d’artillerie de marine, il finit par obtenir l’autorisation de mettre son projet à exécution. Peu à peu le ministère de la marine prenait figure : d’abord la flottille, puis les fusiliers marins, enfin, les artilleurs ; si « Versailles » en avait laissé le temps, on aurait eu les ingénieurs hydrographes. C’est dans les premiers jours de mai que fut décrétée l’organisation de cette nouvelle troupe, dont le besoin ne se faisait nullement sentir. Cognet choisit d’abord ses officiers ; en temps de révolution, c’est ce que l’on trouve le plus facilement, car chacun veut l’être. En parlant des cinq ou six drôles qu’il avait promptement embauchés et galonnés, il disait : Mon état-major. Cet état-major, il l’installa au Palais de l’industrie, où se trouvait celui des marins de la garde nationale. Ce fut une belle occasion de fraterniser : on ne la négligea pas, au grand détriment du restaurateur Doyen, chez lequel on festoyait, que l’on payait très régulièrement en bons de réquisition et chez lequel, — de politesse en politesse, — il fut bu plus de 3,000 (je dis trois mille) bouteilles de vin. Des hommes ayant appartenu aux artilleurs auxiliaires organisés par Cognet pendant la guerre franco-allemande, quelques rôdeurs de Belleville recrutés par un citoyen de mœurs peu douteuses nommé Chevallier, une partie des équipages de la flottille prudemment désarmée, formaient le contingent de ces étranges artilleurs de la marine et représentèrent à peu près le cadre d’une batterie. D’après les listes nominatives que j’ai sous les yeux, je vois que cent huit individus ont fait partie de ce groupe qui exigea une ration quotidienne de tabac, comme celle que l’on distribue en mer aux matelots embarqués à bord des vaisseaux de l’état.

Cognet avait accepté les principes proclamés par la commune, il faut le croire ; mais en tout cas, comme la plupart de ses complices, il était bien peu égalitaire. J’en trouve la preuve dans la lettre suivante, qu’il adresse au délégué de la marine dès le 6 mai, aussitôt