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à se présenter au ministère pour régulariser leur situation ; même avis adressé aux artilleurs, aux soldats de l’infanterie de marine, aux fusiliers marins. Pour faciliter le recrutement, on força, par voie de réquisition, la compagnie des bateaux-mouches à céder son personnel à la flottille ; les chauffeurs et les mécaniciens touchent 240 francs par mois et les vivres ; un mois de solde leur est compté d’avance. Peyrusset, avec sa belle prestance et sa longue barbe, ne se contente pas d’être commandant en chef et capitaine d’aventure : il joue au forban ; de sa large ceinture rouge sortent deux pistolets qui sont entre ses mains un argument sans réplique, il en menace tout le monde. Il est souvent ivre, et sa familiarité, qui n’a rien de fraternel, n’est pas dénuée d’une certaine gaîté ; il dit à ses hommes : « Obéis, marsouin, ou je te brûle le potiron ! » Fort ponctuel du reste, et veillant à tout, il apprend que Cognet, l’ancien chef d’état-major de Durassier, a conservé une chambre au ministère de la marine ; de sa meilleure encre, il écrit au gouverneur Gournais : « Ordre vous est donné de faire quitter le ministère au citoyen Cognet, il devra évacuer sa chambre et remporter ses effets ; vous prendrez la clé et la remettrez à l’huissier. » Gournais s’acquitte de cette commission désagréable, et il lui arrive une petite déconvenue qu’il raconte proprement en ces termes : « Je déclare avoir vue un sabre hier dans la chambre n° 111 dont javais lorde de faire évacuez. D’après cette orde jaie remis la claie à l’huissier dont jen aie tirée reçue. A 11 du matin jeaie reçu l’orde de remetre se sabre au citoyen chef de ta major jeai constate que cette avait étté occupé et que ce sabre avait disparue maigre que cette porte était bien ferme à la claie, alors il resulte que cette porte a une double claie, je certifie et constate moi citoyen capitaine de la garde nationale attacher au ministère de la marine : GOURNAIS. »

Peyrusset voulut aller lui-même inspecter la flottille. Il se prépara à cet acte important par quelques libations qui sans doute furent trop copieuses, car, lorsqu’il monta à bord de la Claymore, il se vit subitement atteint de mal de mer. Il fut obligé de se dérober aux huées de l’équipage, qui, enviant son état d’ébriété, ne lui ménageait pas les quolibets. Afin de réparer autant que possible le mauvais effet produit par la tenue avinée du commandait en chef, le délégué Latappy fit rentrer la flottille vers le quai de Billy, près de l’usine Cail, et, accompagné de quelques membres de la commune, la passa solennellement en revue. On fit quelques discours aux marins rassemblés, on stimula leur patriotisme ; on leur parla de leurs frères surveillés par l’armée de Versailles et qui n’attendaient qu’un moment propice pour venir se joindre à eux. Peines perdues, quelques cris de vive la commune répondirent faiblement à cette explosion d’éloquence. On était au 28 avril et