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un peu plas de 100 francs par jour ; ce qui est peu spartiate, mais paraît fort modéré lorsque l’on se rappelle que les dîners quotidiens de la préfecture de police sous Duval, Rigault, Cournet et Ferré coûtaient 228 francs. On réquisitionnait des armes, des képis, des vêtemens, du papier, de la toile, des sabres, des galons, des balais ; on réquisitionnait bien d’autres choses encore auxquelles je ne puis même faire allusion. La commune fut un accès de réquisition furieuse. Lorsque les troupes françaises se furent emparées de la rue Royale, les marchands du quartier apportèrent au ministère de la marine des bons de réquisitions signés par de bas employés et représentant la somme ronde de 82,000 francs.


IV. — LA FLOTTILLE DE LA SEINE.

Si les réquisitions réussissaient à donner quelques agrémens à la vie communarde, elles ne suffisaient pas au recrutement que l’on destinait aux équipages de la flottille. Durassier s’en doutait et Latappy s’en aperçut. Ils avaient compté sur les marins réguliers, et ceux-ci usaient de tout subterfuge pour franchir les fortifications et aller retrouver leurs camarades qui combattaient pour la France et sous son drapeau, contre la loque rouge que l’insurrection avait arborée. Cette guenille, la marine de la commune la regardait sans doute comme l’étendard national, car, par un ordre du 5 avril, Durassier signifia aux bateaux-mouches que leur service serait arrêté par force, s’ils n’amenaient le drapeau tricolore et ne le remplaçaient par l’emblème de sang, qui, pendant deux mois, déshonora la façade de nos monumens publics. Les bateaux-mouches furent contraints d’obéir et les canonnières n’eurent point à les « saborder. » C’était là, du reste, une besogne que l’on eût peut-être difficilement imposée aux équipages, car ceux-ci se composaient en grande partie d’hommes enlevés par tout moyen au personnel actif des bateaux omnibus. Les marins réels ayant fait défaut, on leur avait substitué tant bien que mal des gens pris partout, à l’aventure, et que l’on avait rapidement revêtus de costumes appropriés, grâce aux magasins que le ministère de la marine possède rue Jean-Nicot. Des ouvriers civils sans ouvrage, des fédérés fatigués d’aller aux remparts, des mariniers, des déchargeurs, des garçons de lavoir, des monomanes fanatiques de canotage, prirent le béret bleu, la chemise au large col, jouèrent au matelot et se dandinèrent en marchant comme des hommes familiers avec le roulis et accoutumés au tangage. À ces élémens déjà fort médiocres et naturellement indisciplinés vinrent s’ajouter ces rôdeurs de rivière, ces déclassés des industries fluviales que le langage des mariniers appelle des carapatas. C’était à peu près de quoi remplir les