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proclamation pour faciliter son recrutement : « Les marins actuellement à Paris qui désirent prendre du service sur les canonnières appartenant au gouvernement de la commune devront s’adresser au commandant de la flottille chargé de leur équipement ; lesdites canonnières sont mouillées au Pont-Neuf. — Le commandant de la flottille, DURASSIER. »

Cet appel à l’insubordination est le premier acte authentique où il est question de la flottille de la commune ; c’en est pour ainsi dire l’acte de naissance. Les premières pièces administratives qui s’y rapportent sont intéressantes à citer, car elles prouvent de quels bas moyens de racolage on usait pour attirer les hommes au service de la révolte et pour les y maintenir. « 6 avril 1871. Service de la flottille de la Seine. Bon pour 20 litres d’eau-de-vie. — 7 avril 1871. Service de la flottille de la Seine. Bon pour 100 litres d’eau-de-vie à 1 fr. 25 cent, le litre, fournis par Lefèvre, distillateur, rue Dauphine, n° 24, sur la réquisition de Découvrant, commandant de place à l’ex-préfecture de police ; vu ; bon à payer. — CHARDON, colonel. » D’après le nombre de litres, on peut conclure que l’effectif des équipages s’était augmenté des trois quarts en deux jours. Durassier avait donc des canonnières, il avait des marins, — quels marins ! — il commandait, il commandait en chef et se croyait bien le maître, lorsque la nomination de Latappy en qualité de délégué vint assombrir l’horizon de ses destinées. Le général Duval n’était plus là pour défendre son protégé ; il avait été fusillé, le 3 avril, au combat de Châtillon, où il s’était laissé prendre comme un benêt. Cluseret de son côté, en qualité de ministre de la guerre et seul responsable des opérations militaires, réclamait le droit de diriger la flottille selon les exigences de sa stratégie ; il avait même désigné un commandant en chef nommé Bourgeat, qui avait servi pendant le siège à bord de la Farcy. Durassier et Bourgeat aboyaient l’un contre l’autre comme deux bouledogues. Le comité central de la garde nationale, auquel le conflit fut soumis, maintint Durassier dans ses fonctions, le nomma capitaine de frégate, et lui soumit Bourgeat, dont elle fit un lieutenant de vaisseau. Cluseret, par ce fait, était battu dans la personne de son protégé ; Latappy profita habilement de l’occurrence et rattacha la flottille par un lien hiérarchique au ministère de la marine.

Durassier regimbait fort ; il eût voulu conserver son indépendance d’action et se considérait volontiers comme un grand amiral soustrait à tout contrôle. Latappy connaissait bien son homme et sut vaincre ses derniers scrupules en lui offrant la table et le logement. Durassier réfléchit que la vie est courte, qu’il est bienséant de l’égayer par quelques bons repas, et il accepta la proposition de Latappy, dont il devint ainsi le commensal et le subordonné, Il