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artilleurs allemands qui servaient les batteries élevées à Breteuil. Après la signature de l’armistice, on avait été forcé d’en débarquer les équipages, et on n’y avait laissé que le nombre d’hommes indispensable pour les garder. Les oublia-t-on à Paris, dans la soirée du 18 mars, comme on oublia plus d’un régiment lorsque la retraite sur Versailles fut résolue ? Nous l’ignorons ; nous savons seulement que les canonnières restèrent à leur poste, près de Javel, amarrées bord à quai, où elles furent aperçues, le 28 mars, par un poste de fédérés qui adressa immédiatement un rapport au général Duval, délégué militaire à l’ex-préfecture de police. Ce fut une bonne aubaine pour cet ouvrier fondeur, qui sut en profiter sans délai. Il donna ordre au chaudronnier Chardon, qui lui servait de chef d’état-major, d’aller s’emparer des canonnières et de les ramener dans Paris, afin de les soustraire aux « manœuvres de la réaction, » Chardon s’acquitta de sa mission en conscience ; les canonnières remontèrent le fleuve et vinrent prendre station en aval du Pont-Neuf, à l’ancien îlot de Bussy.

Quoique général, membre de la commission de la guerre et porté à se croire doué de toute sorte d’aptitudes, Émile Duval n’osa pas s’attribuer le commandement de la flottille ; il sentait bien qu’il fallait, pour n’être pas ridicule dans ce poste, quelques notions spéciales acquises par l’étude et développées par la pratique. Il tenta de gagner à la cause de l’insurrection les hommes laissés à bord pour l’entretien du matériel ; il se proposait de les embaucher, de donner à plusieurs d’entre eux le commandement particulier de chacune des canonnières, se réservant de diriger de haut et de loin les opérations militaires. Il fit faire des offres à un premier maître de manœuvre nommé Lalla, à un quartier-maître de canonnage nommé Castel ; ces deux braves gens et les marins sous leurs ordres, quoique gardés à vue par un détachement de fédérés, repoussèrent toutes les propositions qui leur furent adressées, et réussirent, non sans peine, à se soustraire au service imposé par la commune. Duval était mécontent et perplexe. Un de ses amis, dont il avait fait le commandant de place de la préfecture de police et qui s’appelait Découvrant, le tira d’embarras en lui présentant un bavard très apprécié dans les clubs de Paris, où, pendant le siège, il avait débité toutes les sornettes qui lui tourmentaient la cervelle. C’était Auguste Durassier, né à Bordeaux en 1832. Engagé volontaire dans les équipages de la flotte, il avait été nommé officier auxiliaire pendant la campagne de Crimée, puis s’était fait recevoir capitaine au long cours et avait navigué. Il connaissait bien la manœuvre des bâtimens de guerre ; il « était de la partie, » comme disait Duval, qui d’emblée le fit nommer commandant supérieur de la flottille de la commune. Dès le 5 avril, Durassier lança une