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déclarant que le surlendemain on reviendrait en force, et que dût-on démolir les caves, on trouverait l’entrée de ce souterrain qu’à leurs risques et périls les employés du ministère s’obstinaient à ne pas révélera Puis il dit à M. Gablin : — Vous serez surveillé, je vous en préviens, et je vous préviens aussi que vous répondrez sur votre tête de tout ce que renferme le ministère.

La journée du lendemain fut dure ; le colonel avait tenu parole : M. Gablin, le concierge, l’adjudant des plantons, étaient gardés à vue ; les sentinelles de faction à la porte avaient pour consigne de ne laisser entrer personne. Vers midi, « la délégation » arriva, elle était nombreuse. De qui se composait-elle ? Il est impossible de le dire avec précision ; quelques personnages portant l’écharpe rouge paraissaient être des membres de la commune ; d’autres très galonnés semblaient être des officiers supérieurs de la garde nationale fédérée. D’après certains indices, je crois que Découvrant, commandant de place à l’ex-préfecture de police, et Chardon, colonel, chaudronnier, un peu repris de justice, en faisaient partie ; mais, en l’absence de preuves authentiques, je ne puis rien affirmer à cet égard. La perquisition fut brutale ; on fouilla partout, deux ou trois ouvriers requis pour la circonstance essayaient les murs à coups de pic ; M. Gablin faisait bonne contenance et aurait peut-être ri sous cape, s’il n’eût craint de voir défoncer l’endroit où il avait caché l’argenterie. Les délégués se dépitaient : — Mais ce souterrain est cependant quelque part, disaient-ils. — Il n’y a pas de souterrain, répétait M. Gablin pour la millième fois. — Mais, puisque je vous dis que je sais qu’il y en a un, — lui répondait-on, et l’on furetait de plus belle, de fort méchante humeur, mais non sans un certain respect pour l’architecte qui avait réussi à dissimuler si habilement une porte que nul ne pouvait découvrir. A force de chercher le souterrain, on arriva dans les combles, où l’on trouva quelques armes oubliées par les domestiques qui avaient fait partie de la garde nationale pendant le siège ; elles furent saisies. Ce fut tout le butin de la journée.

Le fonds de bêtise et d’ignorance de ces malheureux était inépuisable ; ces souterrains créés par leur imagination enfantine, ils les avaient cherchés, je l’ai raconté ailleurs, à la prison de Saint-Lazare, au Louvre, au Luxembourg, au séminaire de Saint-Sulpice, à la maison des dames des Sacrés-Cœurs, partout enfin où ils voulaient constater les crimes « du catholicisme et de la monarchie, » et ils les cherchaient au ministère de la marine avec une bonne foi qui n’était point douteuse. Il y a là une preuve de crédulité en contradiction flagrante avec l’état de la civilisation moderne ; celle-ci a fort à faire et de grands devoirs à remplir pour dissiper les ténèbres dont ces pauvres cervelles sont encore enveloppées ; il y va de son honneur et peut-être de son salut, car les hommes qui acceptent aveuglément et