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sur la marche et le résultat des négociations, sur les dispositions des cabinets.

Ce qui est évident, ce qui éclate à travers tout, c’est que la crise orientale est à sa période la plus aiguë. Pour l’instant il n’y a plus d’indépendance ottomane, l’empire turc abattu, découragé, désorganisé, est à la merci du vainqueur ; la Russie triomphe au-delà de ses espérances ! Depuis quelques jours, depuis que les armées du tsar, par un mouvement audacieux en plein hiver, ont franchi en masse les Balkans, tout s’est précipité, les événemens ont pris d’heure en heure un caractère plus menaçant. Pendant qu’on en était à débattre toutes ces propositions d’armistice et de préliminaires de paix qui couraient les chemins à la recherche des quartiers-généraux, les Russes n’ont cessé de marcher, dérobant et hâtant leurs mouvemens. Un instant dans leur retraite les Turcs ont tenté un dernier effort du côté de Philippopoli, ils se sont battus courageusement ; mais cette résistance a été brisée, ce qui restait des forces ottomanes a été pris ou refoulé, et les Russes se sont déployés en toute liberté, gagnant du terrain, s’engageant sans péril, de telle façon que le jour où ils ont consenti à la signature d’un armistice et des préliminaires de paix, ils étaient déjà partout. Ils sont sur la Mer-Noire et sur la mer de Marmara ; s’ils n’ont pas occupé Gallipoli, ils n’en sont pas éloignés. Il y a quelques jours le chancelier de l’échiquier d’Angleterre, sir Stafford Northcote, parlait comme d’une hypothèse extrême et invraisemblable du cas où les Russes paraîtraient sûr la mer Egée ou à Salonique ; ils sont déjà, sinon précisément à Salonique où rien ne pourrait les empêcher d’aller, du moins sur d’autres points de la mer Egée. Ils rayonnent de toutes parts, en même temps qu’ils ont occupé sans coup férir les défenses avancées de Constantinople : ils tiennent Sainte-Sophie au bout de leur épée ! Ce n’est plus comme il y a cinquante ans, dans cette guerre de 1829 où la Russie, victorieuse mais épuisée, s’arrêtait sur la route d’Andrinople et se contentait de dicter une paix qui, en étant assurément onéreuse, laissait vivre l’empire ottoman. Aujourd’hui c’est la reddition à merci de la Turquie inscrite dans l’armistice, dans les préliminaires de paix, peut-être dans des engagemens secrets, et garantie par la présence d’une armée aguerrie, par l’ascendant d’une puissance militaire irrésistible. Il ne manque plus que l’entrée à Constantinople, et à l’heure qu’il est cette entrée est déjà peut-être accomplie. Les Russes voient se réaliser le rêve le plus ambitieux de leur politique. Ils ont une double satisfaction d’orgueil : ils accomplissent un vœu héréditaire, et après vingt ans ils ont la fortune d’aller chercher à Constantinople la revanche de leur mécompte de Sébastopol. Ils ont repris leur marche en Orient, et ils se croient libres de déployer tous leurs desseins.

Voilà certes en peu de jours bien des événemens gros de difficultés