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les romanesques invraisemblances du fond montrent ce qu’il y a de pénible et de mal équilibré dans ce livre, où l’on reconnaît cependant l’effort d’un esprit distingué et d’un écrivain de talent. Le tort de M. Louis Ulbach a été surtout de mêler à des doses inégales les qualités réelles de l’observateur et les spéculations par trop chimériques d’un fantaisiste. Les partisans de l’idéal ont souvent recommandé aux romanciers qui vivent trop près de la terre de prendre pour maxime les vers d’Horace :

Cœtusque vulgares et udam
Spernit humam, fugiente penna…


Le conseil peut être bon, mais, pour le pratiquer, il faut avoir une robuste envergure d’ailes, et si l’on ne se sent pas assez poète pour prendre son essor dans le plein ciel de la fantaisie, mieux vaut encore en revenir à l’observation des choses terrestres, à ces régions un peu bourgeoises, mais saines et solides, où M. Louis Ulbach a jadis trouvé l’aimable roman de Monsieur et madame Fernel.

On ne reprochera pas à l’auteur de la Maison Vidalin[1] d’avoir choisi son sujet dans un monde trop chimérique. Le roman de M. Alphonse de Launay a pour cadre l’intérieur d’une épicerie de province ; pour personnages, l’épicier Vidalin, la belle Mme Élise sa femme, un petit apprenti bossu et un premier garçon d’épicerie bellâtre et galant, répondant au nom de Cyprien. C’est dans ce milieu prosaïque, où les parfums acres du poivre se mêlent aux odeurs fades de l’huile d’olive et du savon, que se joue un drame fortement pimenté d’adultère et terminé par deux morts violentes.

Faraud, le petit apprenti bossu et malingre, s’éprend pour sa belle patronne d’un amour timide et extatique, tandis que Mme Vidalin, fascinée par les grâces triomphantes du commis Cyprien, trompe l’honnête épicier dans l’arrière-boutique du magasin de denrées coloniales. C’est par une chaude après-midi d’été, en rangeant des bouteilles de vins uns au milieu d’un bourdonnement de mouches s’abattant sur les barils de cassonade, que Mme Élise tombe dans les bras de Cyprien. — O Virgile ! nous voilà loin de la poétique grotte où s’oublièrent Énée et Didon ! — L’honnête Vidalin ne s’aperçoit de rien, naturellement, mais l’apprenti Faraud, rendu plus perspicace par ses souffrances d’amour, devine cette passion coupable, en guette minutieusement toutes les péripéties et n’en aime que plus frénétiquement sa patronne. Un jour, il lui entend dire, en parlant de Vidalin : « Cet homme, c’est mon désespoir et ce sera ma mort ! » Et alors une idée monstrueuse germe dans le cerveau maladif du petit bossu ; il rêve de débarrasser Mme Vidalin de son encombrant mari, et il empoisonne Vidalin à petites

  1. Un vol. in-18 ; Charpentier.