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qui décide à qui iront ses biens ; le testament est souverain : uti legasset ita jus esto. Chez les Germains, comme chez les Slaves et à toutes les époques primitives, point de testament. Les enfans étaient, pour ainsi dire, copropriétaires, ou plutôt les biens étaient possédés par la famille, considérée comme une personne juridique perpétuelle ; les générations successives n’en avaient que la jouissance. Chez les Germains autrefois, comme dans la Grande-Russie aujourd’hui, l’hérédité ne s’appliquait qu’aux meubles et à la maison avec l’enclos y attenant. La possession de la terre était temporaire ou viagère. Pourquoi l’hérédité est-elle établie ? Ce n’est point pour un motif de justice. Dans les idées modernes, le mérite ou le démérite ne passe pas aux héritiers. On n’admet plus que « la malédiction de l’Eternel passe de génération en génération. » Mon père occupait une haute fonction parce qu’il en était digne ; ce n’est pas une raison pour qu’elle me revienne après lui. De même, s’il avait commis un crime, il ne serait pas équitable de m’en faire porter la peine. La responsabilité est personnelle ; chacun doit être traité en raison de son mérite ou de son démérite individuel. Le fainéant devrait toujours subir les conséquences immédiates de son oisiveté, et l’homme laborieux jouir des fruits de son travail. Les considérations qui ont fait établir l’hérédité et les causes qui historiquement en ont amené le développement sont exclusivement économiques. Si le père n’est pas certain que les fruits de son travail et surtout ceux de son épargne passeront à ses enfans, il déploiera moins d’activité et il consommera immédiatement tout ce qu’il produit. La production sera donc moindre, et la formation du capital nulle. L’hérédité est utile comme un stimulant à l’accroissement de la richesse. Jusqu’à quel degré devront s’étendre les successions collatérales ? Évidemment pas au-delà du degré où elles peuvent agir comme encouragement au travail et à l’épargne ; plus loin, elles ne sont plus qu’une source de procès. C’est pour ce motif que beaucoup de légistes proposent de les limiter au cinquième ou au sixième degré.

Le père de famille doit-il pouvoir librement disposer, même après sa mort, de toute sa fortune ou faut-il établir une réserve en faveur des enfans ? La plupart des économistes réclament la liberté testamentaire absolue. M. Leplay, avec une abondance de faits et d’argumens qui a entraîné beaucoup d’adhésions, montre dans la réserve obligatoire une des causes principales de la désorganisation sociale. Cette clause funeste, prétend-il, ruine l’autorité paternelle, enlève l’esprit de suite aux entreprises industrielles, provoque le morcellement des terres et cause une foule d’autres maux. Les auteurs du code civil visaient à favoriser les progrès de l’égalité et à répartir la propriété entre le plus de mains possible. C’est pourquoi ils ont proscrit les majorats, les substitutions et la liberté absolue