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bien-être ? J’ose dire qu’il n’est pas de connaissance dont ils puissent moins se passer. J’essaierai de le prouver, en montrant les rapports étroits qui relient l’économie politique aux autres sciences du même groupe, la religion ou la philosophie, la morale, le droit et la politique.


I

Il ne faut pas s’étonner si l’on a prétendu qu’il n’existait nul rapport entre l’économie politique et les autres sciences sociales. La plupart des anciens économistes n’ont pas aperçu ce rapport et ont même essayé de démontrer qu’il n’existait pas. L’économie politique avait, suivant eux, un domaine à elle, strictement circonscrit, où elle se développait rigoureusement, en partant de principes nettement établis et en dehors de toute influence étrangère. On la définissait : la science qui détermine comment la richesse se produit, se distribue et se consomme. En se bornant ainsi à analyser et à constater des faits, on en faisait une science positive, descriptive, qui se suffisait à elle-même et qui n’avait ni à demander ni à offrir de lumières aux autres branches des connaissances humaines ; mais cette définition si généralement acceptée est entièrement fausse et ne donne aucune idée de ce qu’est en réalité l’économie politique. En effet, déterminer comment la richesse se produit, ce serait indiquer les procédés de fabrication, les moyens qu’emploie l’agriculteur pour mettre la terre en valeur, le mineur pour exploiter les couches du sous-sol, le voiturier et le marin pour transporter les marchandises. C’est de la technologie et non de l’économie politique. Sans doute ce n’est pas ce dont les économistes se sont occupés, mais tel était le sens de leur définition. Dire comment la richesse se répartit, ce serait faire connaître la part qui revient au propriétaire, au capitaliste, à l’ouvrier, et noter le revenu de chaque classe de la société. Ce serait de la statistique et non de l’économie politique. Indiquer comment la richesse se consomme, ce serait décrire la façon dont la population se loge, s’habille et se nourrit. Ce serait une peinture de mœurs, un inventaire de mobilier, un menu de dîner et non de l’économie politique.

Cette troisième partie de la science qui traite de la consommation a paru si peu importante qu’on l’a souvent négligée, et que même Stuart Mill proposait de la supprimer. Et pourtant c’est sur ce point que portent presque exclusivement les réflexions des écrivains anciens qui se sont occupés de « l’économique, » comme Aristote, Xénophon, Platon. Ils étaient avant tout moralistes et ils disaient aux hommes comment ils doivent vivre pour faire leur