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ces progrès surprenans et cette décadence inévitable, ces ombres et cet éclat. Il en est de même en Orient, quoique l’Orient ait su plus longtemps se défendre contre les barbares ; là aussi la mort et la vie sont accouplées ensemble. Les hontes et les faiblesses de la cour byzantine, les révolutions misérables dans lesquelles elle s’épuise et s’éteint sont l’héritage qu’elle a reçu du vieil empire des césars, et pendant que cet empire achève de mourir lentement aux bords du Bosphore, après avoir succombé sur le Tibre, le christianisme, l’élément jeune et rénovateur, trouve la force de créer un art nouveau près du désert de Syrie.

Ici se présente une question importante à laquelle M. de Vogüé a touché sans prétendre la traiter à fond : après qu’on a constaté le mérite de cette école d’architecture et la beauté des œuvres qu’elle a produites, il est naturel de se demander quelle action elle exerça sur l’art chrétien et jusqu’où son influence s’est étendue. Doit-on penser qu’elle s’est enfermée dans la Syrie et l’Orient ? Si elle en est sortie, a-t-elle pu pénétrer jusque chez nous ? Est-il possible qu’elle ait contribué à la renaissance occidentale du XIIe siècle, et faut-il lui attribuer quelque part dans la formation de notre art français du moyen âge ?

La réponse ne semble pas douteuse à M. de Vogüé, et je crois qu’elle ne le paraîtra pas non plus à tous ceux qui jetteront les yeux sur les planches qui accompagnent son livre : entre les monumens de la Syrie centrale et certaines églises romanes du midi de la France les analogies sont frappantes. M. de Vogüé les fait ressortir par des rapprochemens curieux. On les retrouve aussi bien dans l’aspect général des édifices que dans les détails de leur construction ; et il est difficile d’admettre que le hasard seul ait pu les produire. Elles avaient été déjà remarquées par M. Viollet-Le-Duc, qui n’hésita pas à reconnaître que les architectes français avaient dû imiter en certaines circonstances les artistes de l’Orient ; il supposa seulement que ces imitations étaient postérieures aux croisades. Selon lui, ce furent les guerres saintes qui donnèrent pour la première fois aux Occidentaux l’occasion de voir les églises de la Syrie ; ils en furent naturellement très frappés, et de retour chez eux ils s’approprièrent ce qu’ils venaient d’admirer. Ce n’est pas tout à fait l’opinion de M. de Vogüé, qui pense que ces relations remontent beaucoup plus haut. Il en trouve des traces dans quelques-unes de nos églises du ixe siècle, notamment dans Saint-Gabriel de Tarascon, dans le porche de Notre-Dame-des-Doms à Avignon, et dans celui de Saint-Sauveur à Aix. Il lui semble d’ailleurs qu’à l’époque des croisades l’architecture française avait trouvé sa voie définitive. C’est alors un art complet et achevé ; les élémens divers qui le forment y sont si bien fondus qu’il faut admettre que ce travail