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étrangères nous empêche de nous établir aux États-Unis, émigrons au moins en Algérie, en Cochinchine. Il n’est pas exact de dire que l’émigration affaiblit la métropole en la privant d’une partie de ses enfans. Notre commerce extérieur au contraire gagnerait étonnamment à envoyer à ces embryons de Frances lointaines les produits de la mère-patrie. Le plus souvent d’ailleurs ce sont des mécontens, des déshérités du sort qui émigrent ; ils vont au loin exercer leur activité, chercher un foyer, faire fortune. L’émigration est le grand exutoire de l’Angleterre, de l’Irlande, qui, sans cela, seraient dévorées par le paupérisme. A l’Allemagne, qui manque de colonies pour écouler au loin ses produits et utiliser sa marine, l’émigration a pour ainsi dire donné des colonies. Les Amériques sont pleines d’Allemands ; il y en a aujourd’hui 10 millions, émigrés ou fils d’émigrés, aux États-Unis seulement. Voyez ce qui se passe à La Plata, où nos Basques pyrénéens, établis de longue date, font en partie la fortune du port de Bordeaux. Cette place leur expédie ses vins, qu’ils boivent volontiers ; ils lui envoient en retour les laines et les peaux de La Plata, dont Bordeaux est devenu le principal entrepôt en France ; c’est peut-être le premier article de son commerce d’importation. Que de villages pourraient imiter nos villages basques ! Vous craignez, dites-vous, d’appauvrir la nation par ces départs, vous l’enrichissez au contraire. L’Angleterre, l’Allemagne, la Chine, ne se sont pas affaiblies par l’émigration, et chacun, au reste, n’a-t-il pas le droit d’aller conquérir au-delà des mers la liberté, le bien-être, l’indépendance, quand il ne trouve point tout cela au pays natal ? C’est par millions que l’on compte les émigrans irlandais qui, comme les Allemands, sont allés aux États-Unis depuis trente ans ; c’est par centaines de mille que les Chinois se sont rendus sur les rivages du Pacifique, au Pérou, à Panama, en Californie ; puis dans la mer des Antilles, à La Havane, enfin en Australie. Ils seraient des millions, comme les Irlandais et les Allemands, si les Anglo-Saxons n’avaient pas regardé d’un œil jaloux et cherché à éloigner pour toujours ces travailleurs de race jaune. Quoi qu’il en soit, partout où ils ont mis pied, tous ces émigrans, même les coulies hindous qu’on engage dans nombre de plantations et qui apparaissent par centaines de mille, eux aussi, dans les colonies de l’Océan-Indien, tous ces émigrans ont donné naissance à un grand commerce avec la mère patrie. Quelques-uns du reste, comme les Chinois, ne sont pas partis sans esprit de retour, et sont revenus au pays natal, fût-ce dans leur cercueil. Les Basques reviennent aussi dès qu’ils ont fait fortune, et montrent le chemin à d’autres.

Ce que nous demandons, ce n’est pas une abdication absolue, un changement complet de nationalité ; c’est un changement momentané de théâtre, quand le théâtre sur lequel on travaille est trop