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Admettons cependant qu’un égal pouvoir de détermination entre les contraires nous soit accordé, comment fonder là-dessus le droit ? Nous voilà revenus après ce détour en face des mêmes objections que tout à l’heure. Qu’y a-t-il dans l’idée d’indétermination, demanderons-nous de nouveau, qui commande le respect et motive l’inviolabilité ? Qu’y a-t-il aussi de sacré dans la multiplicité ou la diversité possible des décisions ? Un pendule qui oscille est-il pour cela plus respectable ? Une hache à deux tranchans est-elle plus inviolable que si elle en avait un seul ? Un revolver à six coups confère-t-il plus de droit qu’un pistolet à un coup ? Parce que je pourrais à mon gré, faisant tourner ma volonté en tous sens, vous ravir vos biens ou ne pas vous les ravir, prendre votre vie ou ne pas la prendre, auriez-vous pour moi plus de respect ? — Plus de crainte, je l’accorde, mais quant au respect, comment le motiver par cette étrange raison : « Voici un homme tout aussi capable, s’il le veut, de faire un scélérat qu’un citoyen honnête ! » Cette parfaite capacité pour la scélératesse comme pour l’honnêteté, ce caractère également propre à tout, d’où peuvent jaillir les actions les plus opposées, cette puissance ambiguë et indéterminée en soi qui fait sortir les contraires du néant par un fiat incompréhensible, ne contient en elle-même rien qui détermine le respect plutôt qu’un autre sentiment. Indifférente en elle-même, cette volonté laisse ma volonté indifférente à son égard tant qu’elle n’agit pas ; quand elle agit, je profite de l’action si elle favorise mes intérêts, j’essaie de l’empêcher si elle les contrarie, mais en aucun cas ne s’applique l’idée morale du droit. Droit et arbitraire s’excluent. Ce n’est pas cette parole royale : « Tel est notre bon plaisir, » qui peut rendre inviolable celui dont elle émane ; de ce principe : « j’ai l’égal pouvoir de faire une chose ou son contraire, » nous ne voyons pas comment tirer cette conclusion : mon pouvoir de faire une chose ou son contraire est un droit, et il faut le respecter.

On dira : — Ce libre arbitre, ce pouvoir absolu de réaliser les contraires fonde le droit chez l’être ou il réside parce qu’il le distingue de tous les autres êtres, par exemple des choses ou des animaux, lesquels ne peuvent agir que d’une façon déterminée par les circonstances ; le libre arbitre, étant supérieur à tout, rend