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grand changement moral. Elle s’ennuya de la diablerie et se prit à chercher ailleurs quelque source d’intérêt. Elle ouvrit un peu au hasard la Vie des Saints, et se mit à feuilleter ce livre à l’église pendant la demi-heure que les élèves y passaient en méditation. Pour la première fois elle y trouva un attrait inconnu. Les miracles la laissaient incrédule ; mais la foi, le courage, le stoïcisme des confesseurs et des martyrs lui apparaissaient comme de grandes choses et répondaient à quelque fibre secrète qui commençait à vibrer dans son cœur. De temps à autre elle suspendait sa lecture et promenait ses regards distraits sur les tableaux qui ornaient les murailles de l’église, dont l’un représentait saint Augustin sous le figuier avec le rayon miraculeux sur lequel était écrit le fameux Tolle, lege, et l’autre l’agonie du Christ au jardin des Oliviers. Un jour, ce dernier tableau, qu’elle avait contemplé cent fois sans en bien saisir le détail, lui parut d’une beauté particulière. En interrogeant machinalement ces masses grandioses et confuses, elle chercha le sens de cette agonie du Christ, le secret de cette douleur volontaire si cuisante, et elle commença à y pressentir quelque chose de plus grand et de plus profond que ce qui lui avait été expliqué jusque-là. Peu à peu elle devint profondément triste elle-même et comme navrée d’une pitié, d’une souffrance inconnue. Quelques larmes vinrent au bord de sa paupière ; elle les essuya furtivement, honteuse d’être émue sans savoir pourquoi.

Le soir de ce même jour, comme elle battait tristement le pavé du cloître à la nuit tombante, plus ennuyée que jamais de la diablerie, mais ne sachant encore de quel côté tourner son activité intérieure, l’idée lui vint de retourner à l’église où les religieuses et les sages du couvent faisaient à cette heure-là leurs dévotions. Par un dernier reste d’orgueil, elle se donna à elle-même le prétexte de savoir dans quelle attitude ces dévotes faisaient leurs prières, avec l’arrière-pensée d’en faire le lendemain une description railleuse à ses compagnes. Mais à peine eut-elle franchi la porte d’entrée que cette pensée la quitta. L’aspect de l’église pendant la nuit l’avait saisie et charmée. L’église n’était éclairée que par la petite lampe d’argent du sanctuaire dont la flamme blanche se répétait dans les marbres polis du pavé, comme une étoile dans une eau immobile. Son reflet détachait quelques pâles étincelles sur les angles des cadres dorés, sur les flambeaux ciselés de l’autel et sur les lames d’or du tabernacle. La porte placée au fond de l’arrière-chœur était ouverte à cause de la chaleur, ainsi qu’une des grandes croisées qui donnaient sur le cimetière. Les parfums du chèvrefeuille et du jasmin couraient sur les ailes d’une fraîche brise. Une étoile perdue dans l’immensité était comme encadrée par le vitrage et semblait