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On peut penser l’effet d’une pareille confidence sur une enfant de treize ans : « J’avais la gorge serrée, je sentais la sueur me couler du front ; je voulais interrompre, je voulais me lever, m’en aller, repousser avec horreur cette effroyable confidence ; je ne pouvais pas, j’étais clouée sur mes genoux, la tête brisée, et courbée par cette voix qui planait sur moi et me desséchait comme un vent d’orage. » Enfin elle put regagner sa chambre, mais ce fut pour tomber dans une effroyable convulsion de larmes et de désespoir qui aurait pénétré sa grand’mère de regrets, si elle en eût été témoin. La force d’âme de l’enfant était déjà assez grande pour qu’elle sût dissimuler la profondeur de la blessure qu’elle avait reçue. Le silence se fit sur ce sujet entre Aurore et sa grand’mère, silence plein d’amertume d’un côté, plein d’anxiété et peut-être de remords de l’autre. Le mal était fait cependant et irréparable. « La vie recommença à couler pour moi comme un ruisseau tranquille ; mais le ruisseau était troublé et je n’y regardais plus. » Aussi lorsque, quelques mois plus tard, Mme Dupin de Francueil, effrayée de la sauvagerie, de l’ignorance, des habitudes rustiques de sa petite-fille, résolut de la conduire à Paris pour la faire entrer au couvent, l’enfant accueillit avec une morne indifférence l’annonce de ce départ, qui devait pourtant la rapprocher de sa mère : « Au couvent, soit, » répondit-elle, et ce fut sans plaisir comme sans regret qu’elle passa de la solitude de Nohant au pensionnat des Augustines Anglaises, où nous allons la retrouver et la suivre dans une nouvelle phase de sa vie morale.


II.

Toute la portion de l’Histoire de ma vie où sont racontées les années de couvent d’Aurore Dupin n’est à coup sûr ni la moins originale ni la moins attrayante. Je me permettrai, très respectueusement et très sérieusement, d’en recommander la lecture à tous ceux et à toutes celles, directeurs ou supérieures de communautés, qui consacrent leurs soins à l’éducation des jeunes filles : ils trouveront à y puiser plus d’un utile enseignement. Je doute en effet qu’on puisse recueillir ailleurs un témoignage plus sincère sur la vie intérieure des couvens et que les procédés de l’éducation congréganiste aient jamais été soumis à la sagacité d’une analyse aussi bienveillante. « En général, dit-elle, on était bon comme Dieu dans cette grande famille féminine. Je n’y ai pas rencontré une seule méchante compagne, sauf Mlle D… (ici le nom d’une sous-maîtresse laïque), et je n’ai trouvé que tendresse et tolérance. Comment ne chérirais-je pas le souvenir de ces années, les plus tranquilles, les plus heureuses de ma vie ? J’y ai souffert de moi-même au physique et au moral, mais en