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Autre surprise de la politique au-delà des Pyrénées. Un jour, il y a de cela moins de dix ans, une révolution bannit la reine Isabelle, la dynastie des Bourbons. De crise en crise, l’Espagne tombe dans une république que toute la bonne grâce honnête et éloquente de Castelar ne peut conduire, qui remplit le pays de sang et de ruines. On croit en avoir fini avec la monarchie parce qu’on fait des constitutions anarchiques, des assemblées agitatrices, des présidens sans pouvoir, et tout à coup la monarchie renaît pour ainsi dire d’elle-même, comme la seule sauvegarde contre la dissolution socialiste qui s’aggrave, contre la guerre civile qui porte l’absolutisme ; elle reparaît personnifiée dans un jeune prince bienvenu, le fils de la reine Isabelle, qui devient aussitôt un gage de paix. Le pays se reprend d’affection cour cette jeune royauté, il s’intéresse à elle, et le jour où le roi don Alphonse choisit dans sa propre famille une reine de dix-sept ans, l’Espagne s’associe à la fête dynastique. Tous les partis n’ont pas été sans doute également satisfaits, et dans la discussion parlementaire qui a précédé le mariage, un des chefs du vieux parti modéré, qui n’était peut-être en cela que l’organe de la reine Isabelle, M. Moyano, a fait entendre la note discordante et grondeuse. M. Moyano, ayant à parler de la nouvelle reine, s’est tiré d’affaire en galant Castillan, il a dit qu’on ne discutait pas les anges ; mais il a pris sa revanche contre le père de la reine, M. le duc de Montpensier, dont le nom a été mêlé à la révolution de 1868. L’approbation des cortès n’a pas moins été à peu près unanime, sauf quatre voix dans la chambre des députés.

La raison d’état qu’on invoquait a été vaincue par la raison du cœur. Le roi Alphonse s’est marié selon son goût, et, en cédant à son penchant, il a suivi la meilleure politique. Il ne s’est laissé arrêter ni par les souvenirs des divisions du passé, ni par des considérations de partis. Il a fait un pas de plus dans une voie où, malgré sa jeunesse, il a montré jusqu’ici le tact, la finesse et la bonne volonté d’un prince éclairé, désireux d’être au-delà des Pyrénées le chef couronné d’une monarchie constitutionnelle et libérale. Tout lui a été favorable, et il a été certes aussi puissamment servi par celui qui, depuis quelques années, n’a cessé de conduire avec une si habile mesure les affaires de la restauration espagnole, par le premier ministre, M. Canovas del Castillo. Évidemment il y a bien des choses à faire au-delà des Pyrénées, et les difficultés viendront. Il y a du moins de l’espoir avec ce règne d’une jeunesse souriante qui, après avoir commencé par porter la paix civile à l’Espagne, reste pour elle le gage d’une politique de modération libérale et éclairée.


CH. DE MAZADE.


Le directeur-gérant, C. BULOZ.