Page:Revue des Deux Mondes - 1878 - tome 25.djvu/731

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

est en fête pour, le mariage du jeune roi Alphonse XII avec sa cousine, la fille de M. le duc de Montpensier, la sœur de Mme la comtesse de Paris, la jeune princesse doña Maria de las Mercedes. C’est un roman de la vingtième année qui vient de se dénouer au milieu de toutes les pompes castillanes. Depuis longtemps on n’avait vu au-delà des Pyrénées de tels galas confondant la cour et la ville. De toutes les provinces de l’Espagne, on était accouru à Madrid pour assister à la fête. La reine Christine et le dernier roi, don François d’Assise, s’étaient rendus au mariage aussi bien que M. le comte de Paris. Seule, la mère, la reine Isabelle, était absente ; la malheureuse princesse avait choisi ce moment pour se livrer à des manifestations politiques qui ont rendu sa présence impossible, en la séparant presque de sa famille. Tous les souverains étrangers avaient tenu à se faire représenter à la cérémonie nuptiale, et la république française, en galante alliée, elle aussi, a envoyé en mission extraordinaire M. l’amiral Fourichon. La royauté espagnole a reparu dans tout son éclat traditionnel au milieu de tout ce monde de princes, de jeunes infantes, d’ambassadeurs, de grands d’Espagne et de généraux défilant dans les rues pavoisées, devant un peuple séduit. Les réjouissances se sont succédé pendant plusieurs jours, et ce qu’il y a de mieux, c’est que tout paraît avoir été spontané et sincère dans la manifestation du sentiment public.

Voilà bien les bizarreries de la fortune et la prévoyance des grands politiques ! Lorsqu’il y a trente ans s’accomplissaient ce qu’on appelait en ce temps-là les « mariages espagnols, » le mariage de la reine Isabelle et celui de l’infante sa sœur avec M. le duc de Montpensier, ce fut un événement des plus graves. Lord Palmerston, blessé et irrité, soulevait le sentiment anglais contre la France. Il semblait presque vraiment qu’il n’y eût plus pour l’Angleterre qu’à s’armer contre ces mariages, contre la résurrection de la prépotence française au-delà des Pyrénées, contre la fusion préméditée des couronnes : tout était évidemment en péril ! Le trouble était dans les alliances ! La guerre pouvait éclater d’un instant à l’autre ! Lord Palmerston faisait de sa propre blessure une blessure nationale, et il n’est point impossible que les excitations de l’opinion anglaise et les égaremens de l’opinion en France n’aient contribué alors à ce qu’on n’avait pas prévu, — à la révolution de 1848 ! Oui, un moment, pour ces mariages, on a risqué d’allumer la guerre entre l’Angleterre et la France. Peut-être aussi une révolution est-elle sortie de là — ou a-t-elle été préparée par cette crise diplomatique. On a bien agité le monde, et au bout d’un certain nombre d’années, après un certain nombre d’événemens, qu’en reste-t-il ? Tout finit par la gracieuse alliance d’un jeune roi de vingt ans et d’une jeune princesse de dix-sept ans, nés l’un et l’autre de ces mariages tant redoutés.