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Car, comme un musulman en était le patron,
Des parias pouvaient y tirer l’aviron ;
Et, descendant le Gange, elle faisait escale
Pour prendre ou déposer dans les ports du Bengale
Ses cargaisons d’ivoire et de bois précieux.
Lorsque son cher Sangor était loin de ses yeux,
L’amoureuse Djola, triste comme une veuve,
Descendait tous les jours sur la rive du fleuve ;
Pensive, elle jetait sur l’onde en soupirant
Des branches de lotus qu’emportait le courant,
Et vers le voyageur loin de sa fiancée
Elle laissait aller ses fleurs et sa pensée,
Comme un gage naïf de sa fidélité.

La barque que montait Sangor ayant jeté
L’ancre devant Patna, sur la droite du Gange,
Où le patron du bord opérait un échange,
Les marins parias, sans être remarqués,
Se promenaient un jour, en oisifs, sur les quais.
Noirs et nus, les reins ceints du langouti de toile,
Ils voyaient les légers bateaux mettre à la voile
Et dans l’intense azur, sur la ville aux cent tours,
Tournoyer lourdement un vol noir de vautours ;
Quand soudain, effrayant la foule qu’il disperse ;
Un chien plein de fureur, un lévrier de Perse,
Se jette sur Sangor et veut mordre l’Indou.
Celui-ci, qui tenait à la main un bambou,
Lève instinctivement l’arme qui le protège,
Sans entendre venir un somptueux cortège
Dans un bourdonnement de gong et de tambour.
C’était Surrou-Sahib, rajah de Dinapour,
Qui, de son palanquin, voyait, pâle de rage,
Un paria maudit lui faire cet outrage
De lever le bâton sur son chien favori.
Le despote imbécile et méchant jette un cri,
Montre à ses cipahis l’imprudent qui l’offense,
Et, sans avoir pu dire un mot pour sa défense,
Le malheureux est pris, entraîné, garrotté,
Puis l’odieux rajah, dont la férocité
S’exerçait tous les jours en cruautés pareilles,
Fit couper à Sangor le nez et les oreilles.