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région, dit-il, participe de la nature des deux autres ; elle est formée de montagnes parallèles à la mer et de plaines fertiles ; ses habitans sont à la fois sédentaires et nomades, cultivateurs et pâtres, indépendans et soumis, suivant les alternatives de paix ou d’anarchie, de force ou de faiblesse de la part du gouvernement, de crainte ou de hardiesse de la part des Arabes du désert. Les limites de cette zone ne sont donc pas rigoureusement déterminées ; elles dépendent de la politique plus que de la géographie, surtout du côté de l’Orient, car le désert, qui en est la frontière orientale, est une expression plus économique que géographique. Le désert de Syrie n’est pas nécessairement une plaine aride et sablonneuse, dépourvue, de végétation et impropre à la culture ; c’est, à proprement parler, l’espace parcouru par le nomade et dévasté par ses troupeaux. Quand, par suite de la faiblesse du gouvernement turc, les tribus envahissent le territoire cultivé, la population et la culture disparaissent, les villages abandonnés tombent en ruine, les champs se couvrent d’une végétation parasite, le désert gagne. Le jour où un pouvoir plus fort et plus soucieux de ses véritables intérêts aura succédé à l’administration actuelle, le désert reculera devant la civilisation. »

En attendant ce jour heureux, qui ne paraît pas être proche, les voyageurs ne se hasardent guère à parcourir la Syrie centrale. A l’exception de quelques villes célèbres, comme Damas ou Palmyre, qui attirent les plus curieux, le reste est à peu près inconnu. Ce n’est pas l’étranger seul qui fuit ce pays misérable, les rares habitans qu’on y trouve semblent n’y rester qu’à regret. Ils savent qu’ils peuvent être à chaque instant chassés par une incursion de nomades, et, comme ils ne comptent guère sur le lendemain, ils ne fondent rien de durable. Ils ne prennent pas la peine de construire des maisons qu’il leur faudrait peut-être bientôt quitter, et se contentent de loger comme ils peuvent dans les décombres en attendant qu’on vienne les forcer d’en partir. M. de Vogüé fait remarquer que, si la situation de ces pauvres gens est pénible à l’observateur civilisé, elle réserve toute sorte de bonnes fortunes à l’archéologue. Il est sûr que s’ils avaient pu bâtir des villes nouvelles, ils auraient détruit les anciennes. C’est partout l’usage que les vieux monumens servent de carrière pour les autres ; mais comme ici on n’a pas eu besoin de matériaux, n’ayant rien à construire, on les a laissé subsister ; c’est ainsi que M. de Vogüé les a retrouvés à peu près tels qu’ils étaient au VIIe siècle, quand les armées de l’empire grec furent chassées par les soldats du prophète.

La première question qu’il s’est posée en les voyant est de savoir de quelle époque ils pouvaient être. Le pays qui conserve ces belles ruines est assurément l’un de ceux dont le nom paraît le