Page:Revue des Deux Mondes - 1878 - tome 25.djvu/698

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

séduit quelques esprits par son obscurité même, n’est pas appuyée sur des preuves suffisantes. On ne voit pas qu’au moyen âge ni ceux qui percevaient les cens ni ceux qui les payaient eussent dans l’esprit l’idée qui s’attache à des contributions publiques. Le cens, sous ces dénominations diverses, apparaît toujours comme une rente foncière qui est payée à un propriétaire par un tenancier[1]. On y distingue d’ordinaire le chef-cens, qui n’est que le signe et la reconnaissance annuelle des droits du propriétaire et qui pour cette raison reste invariable et très, léger, et le gros cens, qui est le prix de la jouissance du sol et qui s’élève suivant l’étendue et la valeur de la tenure. M. Vuitry fait observer avec pleine raison que ce n’est pas du cens qu’est sorti l’impôt royal ; il nous paraît impossible d’établir qu’il soit sorti lui-même de l’impôt romain. L’identité de nom n’est pas un indice assez sûr. On sait quel désordre s’est introduit dans la langue au temps des Mérovingiens. Le même mot a pu s’appliquer aux impositions publiques et aux redevances privées sans que nous soyons en droit de conclure que celles-ci dérivent de celles-là. Les cens ont subsisté jusqu’en 1789, mais toujours comme redevance essentiellement seigneuriale, et jamais la royauté n’a songé à les revendiquer à titre d’anciennes contributions publiques. Nous avons aussi quelque peine à croire que les lods et ventes aient un rapport d’origine avec l’impôt sur les ventes de l’empire romain, centesima rerum venalium ; car il y avait entre les deux choses cette différence bien caractéristique, que les lods et ventes portaient sur la transmission de la terre, au lieu que l’impôt nommé centesima n’avait frappé jadis que les biens meubles et particulièrement les objets vendus dans les marchés., Le relief ou rachat n’avait aussi, quoi qu’en ait dit Championnière, qu’un simple rapport d’analogie avec l’impôt des successions qui s’était appelé vicesima hereditatum sous l’empire. Il dérivait d’un tout autre principe, et les hommes y attachaient une idée tout à fait différente. Le relief n’était pas un impôt sur les successions ; il était le prix par lequel on obtenait du propriétaire une nouvelle concession de jouissance. Il est une remarque qu’on aurait dû faire : s’il était vrai que ces redevances fussent les anciennes contributions de l’empire, on les verrait peser aussi bien sur les alleux que sur les fiefs et les censives, car les alleux n’étaient pas autre chose que l’ancienne propriété romaine, maintenue sans aucune altération. Il y avait même des raisons pour que l’impôt public se conservât mieux sur les terres allodiales que sur les terres transformées par le contrat de cens ou par le contrat de fief. Tout au contraire, les alleux ne connaissaient ni

  1. Beaucoup de chartes, l’appellent fundus terrœ, comme s’il était la marque de la propriété du fonds. Voyez Guérard, Cartulaire de S. Père de Chartres, p. 152.