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été concédé originairement par un seigneur propriétaire. Ils jouissaient de la liberté civile ; ils n’étaient pas contraints de rester attachés au sol ; ils pouvaient léguer et tester ; ils avaient enfin un droit civil, des coutumes protectrices, même des privilèges. Seulement le sol qu’ils occupaient héréditairement n’était pas leur propriété ; ils en payaient donc une redevance annuelle, et, s’ils étaient autorisés à en léguer ou à en vendre la jouissance, ce ne pouvait être que sous des conditions qui gardassent intacts les droits du véritable propriétaire. — Fort au-dessus des serfs et des vilains s’élevaient les seigneurs de tout rang, ecclésiastiques et laïques, évêques et abbés, ducs, comtes, barons, chevaliers, écuyers. Ils dépendaient les uns des autres parce que chacun tenait terre d’un suzerain ; mais ils tenaient en fief et non pas en censive ; par conséquent, ce qu’ils devaient pour prix de la jouissance du sol, ce n’étaient ni des cens ni des corvées, c’était le service militaire et le service de cour, c’était surtout la foi et l’hommage : par quoi il fallait entendre, au sens littéral, la dépendance complète de toute la personne morale.

La terre se distribuait exactement comme les personnes. Chaque grande propriété (il n’en existait presque plus de petites) se divisait ordinairement en deux parties : l’une, que le propriétaire ou seigneur s’était réservée, s’appelait proprement le domaine ; l’autre, qui avait été concédée par lui en tenure, s’appelait la censive. Parmi ces tenures, les unes étaient occupées par des hommes libres, les autres par des serfs ou des mainmortables. Toutes étaient des lots autrefois détachés du grand domaine et accordés en jouissance à des esclaves, à des affranchis, à des colons, à des hôtes. — En même temps, chacun de ces grands domaines, pris dans son ensemble, était un fief, c’est-à-dire qu’il avait été accordé originairement, en vertu d’une concession réelle ou fictive, par un seigneur plus élevé à un homme qui était devenu dès lors son vassal. Ces fiefs, qui n’étaient pas héréditaires en droit, ne l’étaient en fait que sous des conditions qui rappelaient à chaque génération nouvelle la concession primordiale, ou qui en étaient le prix. C’est surtout en vertu de ce principe que les seigneurs étaient subordonnés les uns aux autres. Peut-être s’y joignait-il, mais dans une mesure difficile à apprécier, le souvenir traditionnel de l’autorité publique et des anciens honores exercés par les ducs, les comtes, les centeniers royaux[1].

Les relations des diverses classes entre elles, en ce qui concernait la possession du sol, étaient réglées soit par de véritables contrats, soit par des conventions verbales périodiquement renouvelées, soit enfin par un usage formellement consenti par chaque génération de seigneurs et de tenanciers. L’exercice des droits

  1. Voyez Championnière, de la Propriété des eaux courantes, 2e partie, chap. 3 et 6.