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l’extension continue de la vassalité. Quand nous voyons Charles le Chauve défendre aux hommes libres et aux petits propriétaires de faire abandon de leur liberté et de leurs biens à une église « ou de se mettre au service d’un autre homme, » cela nous révèle une disposition qui fut presque générale chez les hommes de ce siècle ; et quand le même prince ajoute qu’il promulgue cette défense « de peur que la chose publique ne perde ce qui lui est dû, » nous saisissons ici la cause principale qui fit disparaître insensiblement les impositions publiques. Les hommes libres renonçaient à leur liberté, les petits propriétaires à leur propriété, et la principale compensation à leur sacrifice était que, devenus serviteurs, vassaux où tenanciers d’autrui, ils échappaient à l’obligation de payer l’impôt. Or cet entraînement de la population vers la vassalité fut presque universel à la fin du IXe siècle. Il arriva donc qu’avec les hommes libres disparurent les contribuables.

Ainsi les impôts, toujours maintenus en principe, quelquefois même perçus, allaient se perdant et se réduisant à rien, parce que la source, c’est-à-dire la liberté et la propriété, en était tarie. On aperçoit enfin la raison dernière qui, à la suite de cet affaissement graduel de l’impôt public, en amena la disparition définitive. Ce qu’il en restait n’affectait guère plus que deux formes, celle du donum qui était remis directement au prince par les évêques, les abbés, les seigneurs puissans, et celle du census, que le peu d’hommes demeurés libres payaient entre les mains des fonctionnaires royaux, c’est-à-dire des ducs et des comtes. Mais, après la mort de Charles le Chauve, il arriva que les rois ne furent plus assez forts pour obliger les grands à leur apporter le donum, et, d’autre part, les ducs et les comtes, ayant cessé d’être des fonctionnaires royaux et s’étant rendus héréditaires et indépendans, gardèrent le census dans leurs mains. La royauté n’eut plus d’impôts. Tous ces changemens se firent sans que l’histoire puisse en marquer la date précise ; ils avaient été préparés dès longtemps ; ils s’étaient accomplis, pour ainsi dire, sans qu’on s’en aperçût ; l’état social du pays et la toute-puissance des prélats et des grands les avaient rendus inévitables.


II

Toute la première partie du travail de M. Vuitry, celle qui s’arrête à la fin de la dynastie carlovingienne, est ce qu’il y a de moins personnel et, à notre avis, de moins achevé dans son livre. Aussi ne s’était-il proposé que de rendre compte des travaux de ses devanciers. Il s’est donc contenté ici d’analyser les opinions de Montesquieu et celles de l’abbé Dubos, de comparer et de mettre en regard les théories trop ingénieuses de Championnière : , les vues