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le charger du recouvrement des contributions. Lui donner cette mission en ne le faisant escorter que de 300 soldats, c’était l’envoyer à une mort presque certaine. Voilà du moins ce qui ressort d’un récit de Frédégaire ; notons même que le fait qu’il rapporte ne se passe pas en Austrasie, mais bien en pays gallo-romain, sur les bords de la Seine[1].

On n’a pas assez tenu compte d’un fait qui s’est produit au commencement de la période mérovingienne, et qui a eu de grandes conséquences sur le régime financier de la monarchie. Les curies des cités, qui étaient déjà en décadence à la fin de l’empire, allèrent s’affaiblissant et s’effaçant de plus en plus après l’établissement des barbares. On ne voit pas, il est vrai, qu’elles aient été supprimées ; mais, victimes du désordre général, appauvries par l’effet de la misère publique, opprimées par les comtes, annulées surtout par la toute-puissance de l’épiscopat, elles disparurent de la scène, et, si l’on aperçoit encore leur nom dans les formules et dans quelques chroniques, il est certain qu’elles perdirent toute autorité et toute action. Or c’étaient les curies qui, au temps de l’empire, avaient eu la charge de lever les impôts directs sous leur propre responsabilité. Avec elles disparut donc le principal instrument de la perception. On ne trouve plus sous les Mérovingiens cette responsabilité et cette solidarité des curies en matière d’impôts, qui avait été la règle sous l’empire. Ce sont au contraire les fonctionnaires royaux qui sont directement chargés de la perception. L’histoire du juif Armentarius, qui est racontée par Grégoire de Tours, jette quelque lumière sur ce sujet ; on y voit un comte Eunomius, un vicaire Injuriosus et un tribun nommé Medardus (les termes de comte, de vicaire et de tribun, sont à cette époque les titres de fonctionnaires royaux), qui ont emprunté de l’argent à une compagnie de deux juifs et de deux chrétiens, afin de payer la somme d’impôts due au trésor par le pays de Tours. Les produits de l’impôt n’étaient donc plus, comme au temps de l’empire, remis aux mains du fonctionnaire par les collecteurs municipaux. Il fallait qu’il fît lui-même le recouvrement, et, en cas de retard des contribuables, c’était à lui de faire les avances, fût-ce en empruntant lui-même à des usuriers. Le soin de percevoir les contributions était donc passé de la curie au fonctionnaire. Ce changement amena plusieurs résultats de grande importance. D’abord le recouvrement dut être plus arbitraire, plus vexatoire, et l’on s’explique la haine et les fréquentes révoltes des populations. Puis le contrôle devint plus difficile, le même fonctionnaire étant chargé de la recette, des dépenses locales, et de la remise de l’excédant

  1. Voyez l’histoire de Bertoald dans la chronique dite de Frédégaire, c. 24.