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été exempts. Les esprits restent donc libres de se partager. Les uns pensent qu’il est plus conforme à la logique que les Francs, à titre de race supérieure, aient été affranchis des contributions. Les autres cherchent un document qui mentionne cette immunité ; ils s’étonnent qu’aucun indice d’un privilège qui devait avoir une telle importance dans la vie quotidienne et dans les relations sociales ne se rencontre parmi tant de lois, de chroniques et de diplômes ; ils attendent donc pour y croire qu’on en fournisse quelque preuve. Si l’on cherche des signes de cette immunité dans Grégoire de Tours, c’est plutôt le contraire qu’on trouvera. Il dit formellement que les Francs payèrent des impôts sous le règne du fils aîné de Clovis, et cela en Austrasie[1]. Il ajoute, à la vérité, qu’au début du règne suivant ils massacrèrent le ministe qui les avait durement taxés ; mais il ne dit pas que cette émeute ait abouti à la suppression des impôts. Lorsque le même historien rapporte que Chilpéric contraignit au paiement de l’impôt beaucoup de Francs qui en avaient été exempts sous le règne de son prédécesseur, cela ne démontre pas que tous les Francs en fussent exempts ; cela implique plutôt qu’en règle générale ils y étaient soumis, bien que dans la pratique beaucoup d’entre eux en fussent affranchis pour des motifs divers. Quand nous lisons que Chilpéric mit « sur tout le peuple de son royaume » un impôt d’une amphore de vin pour chaque arpent de vigne, nous ne voyons pas un seul mot qui permette de croire que les vignes possédées par des hommes de race franque fussent exceptées[2]. Les lois où il est fait mention des tributs ne distinguent jamais entre la terre du Gallo-Romain et la terre du Franc. Les diplômes, les actes de donation ou de testament ne font aucune allusion à une différence de cette nature. Les Vies des saints n’en disent pas un mot. Aucune dés mille anecdotes que nous avons de ces temps-là ne signale rien de pareil. Dans les actes de jugement relatifs à la propriété nous n’apercevons jamais que la terre du Franc se distinguât en quoi que ce fût de la terre du Romain. L’idée que les Francs fussent libres d’impôts, à titre de race supérieure, ne se rencontre dans aucun document contemporain. Pour la trouver, il faut descendre jusqu’à la fin du XIIe siècle, et encore ne la voit-on exprimée que par un chronographe ignorant qui la mentionne après avoir raconté que les Francs descendaient des Troyens et que c’était l’empereur Valentinien Ier qui les avait exemptés d’impôts. C’est assez dire quel fonds l’on doit faire sur cette unique phrase[3]. Le

  1. Grégoire de Tours, Hist. Franc., III, 36 : Quod Francis tributa, antedicti regis tempore, inflixisset.
  2. Grégoire de Tours, V, 29 ; cf. Frédégaire, Epitom., c. 80 : in omni populo regni sui.
  3. Elle se trouve dans un manuscrit de la Bibliothèque nationale, n° 4998, ancien fonds,>51.