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dans sa réalité militaire, encore très honorable pour les assiégés, on aurait justement loué leur sang-froid et leur constance, on ne les aurait pas comparés aux soldats des Thermopyles !

Tous les récits qui venaient d’Afrique étaient à ce diapason, et toutes les conséquences qu’on en tirait en France, quant à la valeur des troupes et à la perfection des institutions militaires, étaient dans cette proportion. En fait, les mérites des troupes soumises à de continuelles et souvent accablantes épreuves étaient infinis, et il est vrai de dire que la guerre d’Afrique nous faisait d’excellens soldats, à un certain débraillé près, qui ne les disposait pas à l’observation de la rigoureuse discipline nécessaire dans les guerres d’Europe. Quant aux généraux et aux officiers, accoutumés à rencontrer leurs noms dans des ordres du jour et des rapports commentés par la presse, où les citations individuelles affluaient, très épris de la publicité que leurs moindres travaux recevaient, presque assurés de battre et battant le plus souvent en effet un ennemi qui défendait avec énergie son territoire, mais qui était notoirement hors d’état d’en chasser l’armée française, enfin, bénéficiant pour la plupart d’un mouvement presque toujours très prompt d’avancement, ils se firent avec le temps des mœurs militaires spéciales où la modestie, que « l’habitude de vaincre » ne conseille pas ordinairement, et les études professionnelles, dont ils n’avaient pas besoin, n’eurent plus leur place. Beaucoup se distribuaient entre eux, avec une libéralité trop peu mesurée, des brevets d’officiers d’avenir, de généraux éminens, même de généraux illustres, si bien que le bon sens public, aidé par les railleries que ne leur épargnaient pas les vieux représentons, encore vivans dans ce temps-là, d’Austerlitz, d’Eylau et de Wagram, érigea nos officiers algériens en « société d’admiration mutuelle africaine, » dont pourtant les actions ne cessèrent pas d’avoir cours.

En tant que conception, préparation, exécution, risques et responsabilités, quelles analogies militaires ou politiques pouvaient exister entre ces entreprises de la guerre algérienne, — où quelques milliers d’hommes (par exemple 9,000 à Isly, qui est l’une des principales actions des temps que je rappelle), et ces grandes batailles de la guerre d’Europe qui décident de la destinée des nations par le choc de centaines de mille hommes qu’appuient des centaines de bouches à feu !

Les travaux accumulés des généraux, des officiers et des soldats de l’armée d’Afrique ont doté la France d’une colonie qui est dès aujourd’hui, après moins d’un demi-siècle, qui sera surtout dans l’avenir l’un des plus considérables élémens de sa puissance politique, militaire, maritime et commerciale. C’est à présent que