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depuis 1808 était tout entière, — tranquillement et silencieusement, — à cette grande œuvre dont elle avait expérimenté les premiers résultats dans les prises d’armes de la fin de l’empire. Mais la France, qui de tout temps avait eu en cette matière l’habitude et l’attitude du professorat, n’eut pas la pensée d’aller à l’école, et puis les révolutions avec leurs conséquences disposaient, et au-delà, de tout le répit que lui laissaient les guerres. Pourtant c’est dans cette période de paix que les institutions militaires reçurent, sans réforme fondamentale malheureusement, les modifications les plus judicieuses dont elles eussent bénéficié depuis Louvois. Par le maréchal Gouvion Saint-Cyr et par ses successeurs, les lois de recrutement, dans un sens qu’alors on croyait conforme à tous les besoins du temps, furent améliorées. D’autres lois, que leur caractère essentiel rattachait directement aux institutions militaires et dont le principe survivra, vinrent, arracher à l’arbitraire l’avancement des officiers et fixer leur état. Elles réalisaient un progrès considérable. Mais, bien que le conseil supérieur de la guerre et le général Morand, sous la restauration, eussent entrevu la grande réforme du service obligatoire à durée restreinte, ni les hommes de guerre ni les hommes d’état de ce gouvernement et du suivant ne cherchèrent à faire pénétrer dans l’esprit public et dans la loi le principe de l’association directe et effective de la nation à l’effort de la guerre. Le prolétariat devait en rester chargé pendant encore un demi-siècle.

Leur attention d’ailleurs, tant que dura le gouvernement du roi Louis-Philippe, fut détournée, même à certains momens absorbée, par une entreprise militaire et politique, la guerre d’Afrique, du plus haut intérêt national, mais qui devait atteindre profondément l’armée dans son esprit, dans ses habitudes professionnelles, et, comme je vais l’expliquer, fausser irrémédiablement pour plusieurs générations d’officiers, pour le pays, pour son gouvernement, l’optique de la guerre.


III. — LA GUERRE D’AFRIQUE.

Toutes les observations et les expériences que j’ai faites au cours d’une longue carrière m’ont montré que l’histoire est moins l’expression de la vérité des faits et de l’impartialité des jugemens que le tableau des passions des contemporains qui l’ont écrite. L’histoire de l’expédition d’Alger (1830) et l’histoire des vingt ans de guerre dont la conquête du territoire algérien fut le prix sont la justification frappante de cette affirmation. Elles sont en même temps la preuve des effets de déviation que l’histoire ainsi faussée produit sur l’esprit public et sur l’esprit des armées.