Page:Revue des Deux Mondes - 1878 - tome 25.djvu/654

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

l’initiative de cette œuvre si spéciale en même temps que si difficile et si compliquée. De là les tâtonnemens, les incertitudes, les lenteurs, le décousu qui ont caractérisé le laborieux enfantement de cette grande réforme ; ils pèsent encore aujourd’hui et ils pèseront jusqu’à la fin, dans les assemblées qui ont succédé à la première, sur la discussion des lois complémentaires dont le vote est attendu.

Le gouvernement et les assemblées, entraînés par l’état de l’esprit public et par leurs propres excitations, ont concentré tous leurs efforts, avec des chances variables de réussite, sur l’organisation de l’armée. Ils ont donné du premier coup au nouvel édifice, sans en élargir et fortifier proportionnellement la base, des dimensions excessives, en demandant au pays des sacrifices énormes qu’il a consentis avec un patriotique empressement. Il en est d’ailleurs récompensé par ce résultat considérable, qu’il a dès à présent une armée nombreuse, déjà cohérente relativement, pleine de bon vouloir et qui travaille beaucoup. J’estime que la France est aujourd’hui en mesure d’opposer à une guerre d’agression des forces bien plus puissantes que celles qu’elle pouvait autrefois mettre en mouvement pour porter l’offensive au dehors. Mais si, comme quelques-uns le croient, malgré les nuages qu’on voit à l’horizon de la politique internationale, l’Europe gardait le bienfait de la paix, la France, qui d’ailleurs ne s’engagera et ne se laissera engager désormais dans la guerre qu’à bon escient et de son plein consentement, devrait s’appliquer sans retard à la solution de deux problèmes :

1° Introduire dans sa nouvelle législation militaire les modifications dont les expériences actuellement en cours feront avant longtemps ressortir le besoin[1] ;

2° Développer dans l’armée les institutions, en fonder de nouvelles dans le pays pour l’armée.

La solution du premier de ces problèmes ne rencontrera que de passagères difficultés de discussion et d’exécution. La solution du second se heurtera à de graves difficultés de budget. Les institutions militaires ne se fondent pas gratuitement, et comment faire de nouveaux appels à la nation qui se croit, en ce qui touche l’armée, au terme de ses efforts contributifs ? Il faut pourtant, sur ce point comme sur tous autres, lui dire la vérité, qu’il lui a coûté si cher de ne pas connaître avant les douloureux événemens de la dernière guerre. Il faut la préparer à ces nouvelles exigences de

  1. Ces remaniemens d’une législation récents sont presque inévitables, et il faut se résoudre à les subir. En matière de constitution militaire, c’est la pratique expérimentale, souvent contraire aux promesses de la théorie, qui décide du mérite des solutions adoptées. La Prusse a employé un demi-siècle de paix à porter ses institutions militaires et son armée au degré de perfection où elles sont.