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réglaient les rapports hiérarchiques jusqu’à celles qui avaient décrété les formes de la politesse et des manières ; c’est ce code qui manque à notre récente démocratie et qu’elle devra désormais travailler à se former, maintenant que ses principes semblent avoir partie gagnée. L’œuvre sera longue et difficile, et ce n’est guère que par l’éducation qu’on y parviendra. Tout cela, Stahl l’a compris avec intelligence et senti avec cœur, et tous ses préceptes d’éducation ne tendent à autre fin qu’à préparer l’enfant à cette forme nouvelle du respect, le respect que l’homme doit à l’homme, je répète à dessein cette formule, dont le sens intime ne saurait être rendu par aucune autre. Tel est, dans son expression la plus condensée, l’élixir de cette morale familière, à la fois très ancienne par ses principes et très nouvelle par ses applications, mélange sensé d’innovation et de tradition, dont nous aurons fait le plus grand éloge si nous disons qu’elle peut entrer dans toute famille française actuelle, monarchique ou républicaine, sans avoir à craindre aucun accueil de mauvaise humeur et sans s’y trouver en contradiction avec les doctrines essentielles que l’on y professe.

Il nous faut, pour être complet, signaler encore deux notices biographiques et critiques, l’une placée en tête d’une édition choisie des anecdotes et des opuscules de Chamfort, l’autre servant de préface à l’édition monumentale du Perrault illustré par Doré. La notice sur Chamfort fut écrite en partie en vue de combattre Sainte-Beuve, qui, dans une de ses Causeries du lundi, avait fort malmené ce bel esprit pessimiste ; nous regrettons d’avoir à dire à Stahl qu’à notre avis la victoire ne lui est pas restée, et que le jugement de Sainte-Beuve est d’une irréprochable justesse. Le grief de Sainte-Beuve contre Chamfort c’est d’avoir poursuivi la destruction de l’ancienne société avec autant d’acrimonie que s’il eût été au nombre de ses parias ou de ses victimes, et je ne sais trop comment Stahl pourrait le justifier à cet égard. Oui, Sainte-Beuve a raison, il est absolument sans excuses d’attaquer des gens chez lesquels on a tant dîné et aussi tant coqueté ; pour avoir ce droit, il aurait fallu que Chamfort n’eût pas partagé leurs mœurs, n’eût pas accepté leur patronage, ne se fût pas poussé par leur amitié ; en un mot, il aurait fallu qu’il eût été Spartiate autrement que d’opinions. J’ai quelque peine à comprendre aussi, je l’avoue, que l’esprit de Chamfort puisse être goûté d’un écrivain qui a si peu cherché la morale d’exception, et qui, même dans ses pages les plus attristées, a toujours su se garder des erreurs du pessimisme. L’esprit de Ghamfort, très réel, très profond et d’une incontestable originalité, marque une date et inaugure un genre ; révolutionnaire, ou pour mieux dire, révolté au plus haut point, il n’a plus rien de l’esprit