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portent les traces d’une lecture répétée des fantaisies de Charles Nodier. Reprocherons-nous cependant cette imitation à l’auteur ? Non, car ces chapitres pourraient être transportés dans l’Histoire du roi de Bohême et de ses sept châteaux ou dans la Fée aux miettes, sans que le lecteur le plus exercé s’aperçût d’une différence de manière bien marquée, ou d’une infériorité de talent. Il est évident encore que le portrait si bien réussi du jeune officier russe qui, dans le même conte, vient avec tant d’à propos servir de principal auxiliaire à saint Remacle pour l’accomplissement du miracle demandé par les époux princiers, a été composé par quelqu’un qui a su lire avec profit certains auteurs sobres et élégans, Mérimée, Xavier de Maistre, d’autres encore ; que nous importe cependant l’influence de ces lectures, puisque ce portrait compose une suite de pages enlevées avec bonheur, où l’un des types les plus curieux du monde actuel a été saisi sur le vif et détaillé dans les nuances les plus fines de sa nature aux contradictions étranges.

L’Histoire d’un homme enrhumé est celle des nouvelles de Stahl où son humour s’est donné le plus entièrement licence. C’est une anecdote digne de Sterne que l’histoire de cet homme enrhumé de naissance, dont l’infirmité ridicule agit sur sa destinée à l’égal de la plus tragique malédiction, et qui, délaissé de sa femme, vaincue elle-même par la persistance de cette obstruction nasale invétérée, erre à travers les pays du nord à la recherche des lieux marécageux et des sites humides où il peut espérer de rencontrer un assez grand nombre de compagnons d’infortune pour échapper incognito aux quolibets des méchans. La suprême douleur des malheurs à tournure comique est de n’obtenir ni consolation, ni pitié ; mais la bonté de Dieu, qui est infinie, épargne à l’homme enrhumé cette lugubre extrémité, et lui rend le cœur et la compagnie de sa femme en la frappant d’une surdité bienfaisante qui lui rend facile la cohabitation conjugale, en même temps qu’elle est une juste punition de sa trop petite patience antérieure. Tout cela est très amusant et aurait mérité de trouver place dans le Tristram Shandy, à la suite des histoires du nez de Slawkenbergius, de l’abbesse des Andouillettes, et autres inventions facétieuses du charmant Yorick. C’est le comique excentrique de Sterne dans ce qu’il a de meilleur, et dépouillé de cette prédilection pour l’équivoque dont l’auteur du Voyage sentimental aime à souiller comme par manie ses pages même les plus touchantes ; si Stahl en effet a beaucoup lu Sterne, il a en revanche moins lu que son modèle Rabelais, Beroalde de Verville et autres conteurs chez qui la décence n’est pas précisément de rigueur. Le diable ne veut jamais tout perdre cependant,