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respect. Il est facile d’être spirituel lorsque la charité paie les frais de nos plaisanteries ; il est aisé d’être piquant lorsque nous accordons à notre pensée toutes les immunités de ce parler sans vergogne que le sévère XVIIe siècle qualifiait de libertinage ; mais c’est un don moins commun que celui de rester amusant sans jamais blesser ni personnes ni choses dignes d’estime. Enfin Stahl a eu d’illustres amitiés dans ce monde de la littérature et des arts, toujours si enclin par la nature de ses occupations favorites à retourner la maxime de Platon, c’est-à-dire à voir dans le bien un reflet du beau plutôt que dans le beau une splendeur du bien, et dans le nombre de ces amitiés nous en distinguons deux plus particulièrement irrésistibles que toutes les autres, des mieux faites pour égarer inconsciemment de leur influence une âme peu sûre d’elle-même et mal gardée contre l’imitation : celles de George Sand et d’Alfred de Musset. Eh bien ! la morale chez Stahl, non-seulement a triomphé de tous ces élémens ennemis, mais se les est associés sans effort et les a tournés à son avantage. Cet amour des choses brillantes lui a donné sa parure, cet amour des choses passionnées lui a prêté l’éloquence qui leur est propre. Que de ces voisinages et de ces accointances elle soit sortie plus amusante, c’est un résultat facile à comprendre ; ce qui est fait pour étonner davantage, c’est qu’elle en soit sortie sans airs de paradoxes ni habitudes de sophismes, en conservant intactes sa franchise et sa simplicité premières.

Moraliste signifie observateur et juge de la nature humaine, et n’est pas nécessairement synonyme de prédicateur de morale. Aussi y a-t-il une fort grande différence entre la morale de beaucoup d’écrivains qui ont porté ce titre et la morale traditionnelle de nos sociétés. Sans parler de Voltaire et de Montesquieu, qui ont été moralistes à leurs heures, le pessimisme de La Rochefoucauld n’est assurément pas à recommander comme un système propre à former l’esprit et le cœur du premier venu, et si Montaigne, le grand Montagne lui-même, finit toujours par rejoindre la morale la plus usuelle, c’est après avoir tourné dans de tels méandres qu’on ne s’aviserait de conseiller à personne d’y arriver par les mêmes routes. Stahl ne connaît pas de telles audaces, et son observation, si personnelle presque toujours par la forme, ne pèche par aucun dangereux individualisme de pensée. Le moraliste chez lui est toujours d’accord avec cette morale qui est commune à tous comme l’oraison dominicale, et les leçons qu’il donne conviennent à tous, parce qu’elles ont moins pour but de faire entrer dans les âmes quelque chose d’inconnu que de leur rappeler ce qu’elles savent de longue date et de les empêcher d’oublier. Quelques-uns lui reprochaient autrefois d’avoir été légèrement hérésiarque en politique ; ce qui est