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d’un des meilleurs recueils d’éducation qui se publient aujourd’hui, mais n’est-ce pas au détriment de la part qu’il y a prise comme écrivain ? Il a été souvent jugé par des voix amies, quelques-unes bien éloquentes, sommairement et d’un trait rapide ; mais qui donc s’est donné jusqu’ici la tâche agréable et facile après tout d’embrasser l’ensemble de son amusant bagage, d’en faire le tri et l’inventaire, et d’en mettre à part les perles précieuses ? L’auteur était cependant bien digne de ce soin, et c’est pourquoi nous ayons voulu consacrer quelques-unes de nos journées à cette réparation méritée.

Stahl a sa physionomie bien à part parmi les écrivains contemporains. Et d’abord il appartient à une génération antérieure à celle qui triomphe aujourd’hui, ce qui suffirait déjà pour lui constituer une individualité tranchée. C’est en vain que l’aimable auteur voudrait cacher son âge à un lecteur pénétrant qui ne le connaîtrait que par ses livres, ce lecteur devinerait la date de son acte de naissance à toute sorte de vieilles et bonnes idées spiritualistes, fort passées de mode pour l’heure, en attendant que quelque homme de génie futur vienne leur rendre cet éclat dont elles devraient toujours briller pour la moralité des sociétés, — à toute sorte de délicats préjugés de sentimens quelque peu tombés en désuétude, non sans dommage pour l’agrément des rapports sociaux, surtout à ce ferment d’idéalisme qui fait gonfler la pâte légère de ses récits, si différent de cette forte levure réaliste qui aigrit de sa violente saveur la substance des plus remarquables œuvres de ce temps-ci. Quel contraste en quelque sorte rafraîchissant que celui de l’optimisme attristé qu’il porte dans l’observation de la nature humaine mis en regard du pessimisme altier, absolu, intransigeant, qui distingue nos jeunes romanciers actuels, même les moins durs, et qui parfois ne s’effraie pas de friser le cynisme ! Stahl sait s’émouvoir, il n’a pas honte de s’attendrir, il ne cherche pas de préférence la nature humaine qu’on doit mépriser, mais s’adresse à celle avec laquelle on peut sympathiser même dans ses pires folies, sur laquelle on peut gémir sans colère, dont on peut se railler sans amertume, et qu’on peut condamner, si besoin en est, sans flétrissure. C’est qu’on reste toujours au fond ce qu’on a été dans sa jeunesse, quels que soient les douloureux enseignemens que nous réservent les années, que Stahl a eu le bonheur d’être jeune en un temps meilleur que celui où il s’achemine vers la vieillesse, qu’en s’éveillant à la vie ses yeux se sont ouverts sur de moindres laideurs que celles dont les jeunes contemporains ont été frappés à leur avènement au monde, et qu’il y a loin, fort loin, de la turbulence de la révolution de juillet à la frénésie de la commune.