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moyennant cette faible somme les spectateurs sont empoisonnés quatre heures durant par quelques-unes des vilenies dont nous avons donné un aperçu. La salle a dû être jadis, une école ; on reconnaît cette destination première à sa longueur inusitée, et aux tables en forme de pupitres dont les supports sont cloués à des bancs.

Un peu plus loin, dans un autre établissement, le public est formé par les petits employés et les petits commis ; dans tel autre, boulevard Saint-Michel, par les étudians. Au reste, il serait oiseux de faire une énumération trop étendue, car, en dehors des traits principaux que nous avons signalés, les cafés-concerts se ressemblent presque tous. Les uns sont riches et somptueux, leurs murailles sont toutes dorées, leur orchestre est plus complet ; les autres sont misérables et sales : voilà où gît toute la différence. Partout le même genre de public, dont l’élégance est en raison directe de la prospérité du lieu ; partout les mêmes appétits, partout, on l’a vu, les mêmes œuvres, car, dans les plus riches comme dans les plus pauvres, le répertoire est identique : lorsqu’une chansonnette a réussi dans tel ou tel concert, elle fait rapidement le tour de Paris, de même qu’une pièce applaudie sur un théâtre de la capitale se popularise bientôt sur les scènes de province.

Cependant il y a quelques-uns de ces établissemens qui doivent être signalés au point de vue pittoresque : ce sont les chante-qui-veut. Ces cafés-concerts sont ainsi nommés parce qu’ils n’ont ni acteurs ni actrices : la troupe se recrute chaque soir dans le public lui-même. Sitôt que la chambrée est à peu près complète, un spectateur monte sur l’estrade et débite une chansonnette ; il est remplacé par une femme qui abandonne son verre de bière pour réciter une pièce de vers, et la soirée dure jusqu’à ce qu’il ne se rencontre plus dans le public un seul amateur. Il existe un de ces établissemens bizarres sur le boulevard Saint-Germain. Les murs noircis, le parquet huileux, les tables vineuses soulèvent le cœur. Qui vient là ? Des étudians de quinzième année, des femmes de mauvaise vie ; peut-être aussi des poètes incompris ou des musiciens inconnus, heureux d’avoir enfin l’occasion de faire admirer leurs œuvres. Il est donc naturel qu’ayant tant de débouchés, ces couplets malpropres et nuisibles ne tardent pas à se répandre partout. On les entend fredonner même par des enfans, non pas seulement ceux des ouvriers. Maxima debetur puero reverentia, disait le proverbe latin ; il avait raison ; il est si triste d’entendre chantonner par des lèvres roses ces airs communs, aisés à retenir, souvent inconvenans qui se glissent partout !

Ce n’était donc pas exagérer que de parler de l’influence pernicieuse exercée sur les mœurs par les cafés-concerts. On peut